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subtile exégèse, comme le ferait le rabbin le plus raffiné, et formant des docteurs en théologie dont un seul aurait révélé tout à coup le secret du maître, après avoir laissé si longtemps la parole aux autres disciples de Jésus? Qu’on se représente le Christ assis parmi les docteurs du concile de Nicée. Nous avons peine à comprendre comment il se fut trouvé au courant des subtiles formules dont ces sortes de discussions étaient hérissées. Le mot de Socrate sur Platon nous revient à l’esprit : que de choses ce jeune homme me fait dire ! Dans cette Trinité que proclama le concile, Jésus eût-il reconnu le Père céleste et son Fils bien-aimé? Il est permis d’en douter. Il n’eût pas même avoué Paul pour son disciple.

Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, origine biblique, origine grecque, origine secrète, la pensée théologique qui commence à Jean et aboutit au concile de Nicée marque une phase nouvelle et décisive dans l’histoire du dogme chrétien. On peut dire que cette phase fut l’apogée de son développement métaphysique. Bien que l’église, avec cette sagesse pratique qui lui a rarement fait défaut, n’ait pas cru pouvoir suivre en tout les grands théologiens alexandrins, bien qu’elle n’ait accepté ni la doctrine de la rédemption universelle, ni la doctrine de la glorieuse résurrection des corps déjà transfigurés par saint Paul en corps de lumière, ni le haut et sévère spiritualisme d’Origène, il est visible que le souffle de Platon et de ses disciples orientaux pénètre, anime et soulève jusqu’aux sommets les plus élevés de la métaphysique les docteurs les plus orthodoxes du temps, sauf l’école de Tertullien. On sent que, si l’église n’eût obéi qu’à l’esprit qui l’inspirait alors, elle n’eût pas consacré des doctrines dignes d’un autre âge, comme le dogme naïf et tout populaire de la résurrection des corps, le dogme impitoyable des peines éternelles, le dogme révoltant des supplices de l’enfer. Quant au dogme étrange et si puissant de la transsubstantiation dans le sacrement de l’eucharistie, s’il répugnait absolument à l’esprit platonicien, il n’était que trop conforme à ce mysticisme oriental qui n’a jamais tenu compte des lois de la nature. Un tel changement de substance, c’était un de ces mystères dont la métaphysique des pères alexandrins devait le plus aisément s’accommoder.

Après les premiers conciles œcuméniques, le dogme ayant reçu sa constitution à peu près complète, il semble que l’histoire en soit finie, et qu’il n’y ait plus qu’à suivre celle de l’organisation et de la discipline de l’église. L’histoire du dogme continue encore pourtant, sinon pour le fond, du moins pour l’enseignement des doctrines. Les grands théologiens dont les discussions ont préparé le concile de Nicée avaient, au milieu de leurs subtiles distinctions, conservé, avec le sentiment platonicien, le sens des plus hautes vérités religieuses. C’était plutôt l’enseignement de Jean qui les in-