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caché mon visage en arrière des opprobres et ses crachats[1]. Enfin» si Jésus a dit : Aimez vos ennemis et bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent, l’ancienne loi n’avait-elle pas dit : Ne conserve pas de haine dans ton cœur, ne garde point de rancune, ne te venge point et aime ton prochain comme toi-même[2]? Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s’il a soif, donne-lui à boire[3]. Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi ou son âne égarés, tu ne manqueras pas de les lui ramener[4]. Ce que je demande de vous, dit l’Éternel, c’est de partager votre pain avec celui qui est affamé, de couvrir celui qui est nu, de consoler celui qui est affligé. Y a-t-il dans l’Évangile une plus belle et plus profonde parole que celle-ci : je verrai ta face par la charité[5]? Enfin s’agit-il de la sincérité de la prière, si Jésus a dit : Mais toi, quand tu prives, entre dans ton cabinet, et, ayant fermé ta porte, prie ton père qui te voit dans ce lieu secret et te récompensera publiquement, ne trouve-t-on pas ceci dans l’Ecclésiastique : — il ne considère pas que l’œil du Seigneur voit toutes choses., et que c’est bannir de soi la crainte de Dieu de n’avoir que cette crainte humaine et de n’appréhender que les yeux des hommes?

De ces rapprochemens, que la théologie orthodoxe connaît mieux que nous, quelle conclusion tirer? Est-ce à dire que Jésus n’aurait été qu’un interprète éloquent de la loi et des prophètes, comme le pensent MM. Salvador et Rodrigues? C’est aller bien loin. D’abord, si cette conclusion ressort du tableau comparatif de ce dernier, n’est-ce point parce qu’il a mêlé un peu indiscrètement aux textes de la Bible, les seuls décisifs, des textes du Talmud dont la date ne peut être fixée d’une manière assez précise pour qu’ils aient la même valeur que les premiers? On peut bien, à la rigueur, citer parmi les textes antérieure aux Évangiles les sentences d’Hillel, précurseur de Jésus, docteur bien connu pour sa large façon d’interpréter la loi, pourvu que l’authenticité des paroles qui lui sont attribuées ait été préalablement établie; mais il y aurait des réserves à faire pour la plupart des autres citations empruntées au Talmud, et il faut bien reconnaître que ce livre est une source trop confuse de doctrines de toute origine et de toute date pour pouvoir appuyer la thèse de l’identité de la doctrine hébraïque et de la doctrine évangélique. C’est ainsi, par exemple, que la doctrine de la pureté de cœur, si marquée dans les Évangiles, à peine sensible

  1. Ésaïe, I, 6.
  2. Lévit. XIX, 17, 18,
  3. Proverb. XXV, 21.
  4. Exod. XXIII, 4, 5.
  5. Psaum. XVII, 15.