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étouffés. Il est certain qu’on se moque de moi, et malheureusement il est certain qu’on n’a pas tort, quoiqu’en ce moment je ne puisse me décider à en convenir; car enfin qui sait, parmi ces jeunes garçons, que je suis devenu bon, ou plutôt que j’ai formé le dessein de le devenir, ou plutôt que je fais une expérience sur moi-même?

Tout cela est fort juste, mais ma joie est gâtée, et, comme un malheur ne vient jamais seul, je m’aperçois bientôt que la route se met à longer un mur nouvellement bâti. Il n’en finit pas ce mur, et puis il est tout blanc, exposé en plein midi; il fait de la route une vraie fournaise, sans compter que la Munchau, revenue de son excursion à travers la plaine, s’est rapprochée tout exprès pour resserrer le chemin contre le mur et m’aveugler de ses reflets.

Je ne suis pas bon marcheur; me voilà déjà tout en nage, et j’ai fait à peine la moitié de la course. Continuerai-je ou retournerai-je à Munchausen sans aller plus loin? Après tout, qu’est-ce que cet Heilig pour qui je me donne tant de peine, et qui probablement m’en saura si peu de gré? En somme, je ne lui dois rien. Comme première épreuve de ma force de volonté, c’est assez de peine et de travail. Je vois ce que je puis faire : je ferai plus et mieux la seconde fois. Et puis le mur que voici a bien trois cents pas, oh! oui, trois cents pas au moins. Voilà ce que disait ma lâcheté.

Quelque chose en moi protesta. Le mérite, si mérite il y avait, ne consistait pas à avoir fait, dans une sorte d’ivresse, une joyeuse et charmante promenade; il consistait à surmonter le premier dégoût et à triompher du premier obstacle sérieux. Le désenchantement que m’avaient causé les rires et les chuchotemens des étudians, la fatigue que je commençais à ressentir, la crainte de la chaleur, tout cela additionné ensemble formait une tentation : c’était la première; il était d’autant plus nécessaire d’en triompher dès le début, si je ne voulais être exposé à lâcher pied honteusement devant chaque nouvelle difficulté.

— Point de sotte faiblesse, m’écriai-je pour conclure; il n’est chaleur qui tienne, je veux aller aux Tilleuls, et j’irai, ne t’en déplaise, ô mur blanc ! — J’espérais que ce bon mouvement compenserait la série de petites lâchetés que j’avais commises depuis quelques heures. Hurrah! pour Heilig, et en avant!

Cela dit, je donnai un bon coup de ma canne sur le sol, comme pour confirmer ma résolution, et je partis du pied gauche, marchant au pas et sifflant la marche des dragons. Tout en sifflant, je comptais mes pas; le mur n’en avait que cent vingt. Donc en cette occasion mon imagination, dupe elle-même de la paresse et de la mauvaise humeur, m’avait surfait la difficulté de toute la différence qu’il y a entre trois cents et cent vingt. De ce petit calcul sortit une réso-