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pulation plus efficacement encore que les précautions prises contre une révolte du Caire, que l’implacable fureur des combats de siège autorisait à craindre.

Mais, en assurant la subsistance de l’armée, le général Valée avait aussi pourvu aux soins de la sûreté et de la salubrité. La ville est assainie et nettoyée. On enlève plus d’un millier de corps brûlés, racornis, mutilés, de troncs vivant encore sans leurs membres, de paquets de membres et de chairs palpitantes, qui gisaient sur un étroit espace, noyés dans des flaques de sang, — triste prix auquel s’achète la gloire militaire, alliage impur, mais nécessaire dans les médailles frappées pour la postérité.

Des réduits contre l’insurrection des habitans avaient été préparés dans quelques maisons isolées et à la casbah, où furent réunis tous les magasins, 15,000 kilogrammes de poudre et 2,000 fusils enlevés à la milice. La brèche est réparée, et du canon est remis en batterie contre une attaque du dehors, chaque jour plus improbable.

Le 17 octobre, le colonel Bernelle, parti de Medjez-Amar dès l’arrivée du 61e régiment, envoyé de France, amenait à Constantine un convoi de ravitaillement, plus important encore par l’impression qu’il produisit sur les Arabes et par l’établissement des rapports faciles entre Bône et Constantine que par le secours matériel qu’il procurait. Dans les rangs de cette colonne marchait le prince de Joinville, lieutenant de vaisseau à bord de l’Hercule, et qui se vengea bientôt au Mexique d’être arrivé trop tard cette fois pour partager les dangers et la gloire de son frère le duc de Nemours.

Mais le corps expéditionnaire, jusqu’alors prisonnier dans sa conquête, paya une cruelle rançon pour sa délivrance. La brigade Bernelle, dont l’arrivée lui donnait les moyens de garder Constantine et de ramener à Bône le matériel et les blessés, apportait le choléra, dont les ravages menaçaient d’ensevelir l’armée dans son triomphe. Parmi les nombreuses victimes du fléau, qui frappa surtout les blessés manquant de tout, l’armée regretta particulièrement le général de Caraman, militaire distingué, et digne héritier des vertus dont son noble père avait récemment donné un si touchant exemple. Le déplacement put seul arrêter une contagion dont les progrès rapides, favorisés par l’abondance après la misère, et l’oisiveté après l’activité excessive, eussent entièrement paralysé le corps expéditionnaire.

Le mouvement rétrograde s’exécuta sans précipitation et sans obstacles, au milieu des populations soumises et gouvernées. Ce fut là la constatation d’une conquête réellement accomplie, et qui ouvrait un vaste avenir à la France. L’équipage de siège partit le premier; un convoi de blessés suivit quelques jours après, et le gé-