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avait dû cette constance et cette unanimité d’efforts rivaux sans être jaloux, cette tenace et obéissante persévérance dans les privations, cet infatigable et ingénieux dévoûment de jour et de nuit, sans lesquels il eût été impossible de vaincre les élémens coalisés avec une défense intelligente, et d’accomplir en six jours une de ces actions guerrières qui honorent non-seulement une armée et une époque, mais une nation, car c’est le roi qui l’a dit du haut du trône en parlant de l’expédition de Constantine, « la victoire a plus fait quelquefois pour la puissance de la France, jamais elle n’a élevé plus haut la gloire et l’honneur de ses armes. »

Dans l’histoire de l’art militaire, le siège de Constantine sera remarquable en ce que tous les travaux qu’on entreprend ordinairement de nuit et à couvert ont été exécutés en plein jour et à découvert, en ce que les attaques, sans approches préliminaires, sur un roc pelé, ont commencé aux distances où se font ordinairement les derniers travaux d’un siège, en ce que la place a été prise par moins d’artillerie qu’il n’y en avait sur le seul point attaquable.

Pourquoi faut-il qu’un si beau fait d’armes soit attristé par le nombre et la valeur des victimes qu’il a coûtées[1] !

C’est Perregaux, âme ferme et élevée, général habile, obtenant par sa sollicitude des efforts extraordinaires de ses soldats, toujours dévoués au chef qui voit en eux autre chose que des instrumens de succès.

C’est Combes, classé dans le souvenir de l’armée plus haut que son grade, à la place où l’eût élevé sa fière et énergique nature.

C’est Vieux, dont la force athlétique avait enfoncé à Waterloo la porte de la Haie-Sainte.

C’est Leblanc, artiste et soldat, oubliant dans le combat, comme Vernet au milieu de la tempête, le danger, pour admirer la scène où il joua et perdit sa vie.

Ce sont ces officiers du génie, qui ont si noblement payé sur la brèche leur droit d’y monter les premiers.

Ce sont ces officiers de zouaves et de zéphyrs, atteints presque jusqu’au dernier.

C’est enfin le plus illustre de tous, Damrémont, enlevé trop tôt à la France, et qui trouvera dans l’histoire le monument que sa mémoire attend encore Là où il termina une carrière déjà si remplie.

Ni la sépulture sous le dôme des Invalides, ni les honneurs dont sa dépouille mortelle fut entourée à son retour en France ne vaudront, pour le général en chef tué à la tête de ses troupes la veille

  1. Dans les tués de l’assaut de Constantine, les officiers figurent presque pour un quart, les sous-officiers pour un autre quart; les gradés n’ont donc laissé aux soldats, dix fois plus nombreux, que la moitié des chances mortelles.