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Le colonel de Lamoricière, avec son coup d’œil rapide et sa vigoureuse exécution, fait démolir les murailles, déblayer les ruelles, escalader les maisons avec des échelles faites en démontant les voitures d’artillerie. On débouchera par trois colonnes, les deux premières contourneront le rempart à droite et à gauche, la troisième percera, droit devant elle, vers le cœur de la ville; mais avant qu’on ait pu sortir de ce labyrinthe, un pan de mur, fouillé par les boulets et poussé par l’ennemi qui tirait au travers, s’écroule sur les hommes heurtant partout pour trouver une issue, et ensevelit une partie du 2e léger. Son brave commandant de Sérigny, enterré jusqu’à mi-corps, expire, en sentant successivement tous ses membres se broyer sous le poids de la maçonnerie, et trouvant encore des paroles d’encouragement pour ses soldats, jusqu’à ce que sa poitrine écrasée ne rende plus de son.

Les colonnes de droite et de gauche se jettent tête baissée dans les batteries couvertes qui surmontent le rempart; les zouaves s’en rendent maîtres après une hideuse mêlée où 91 Turcs et 45 Français périssent poignardés au milieu d’un épais brouillard de fumée, dans d’étroites casemates déjà remplies de débris d’affûts et de chair humaine en putréfaction. Au-delà, on emporte de vive force les barricades, on enfonce les maisons les unes après les autres, en recevant des coups de fusil à bout portant sans pouvoir en rendre. Il faut monter sur les toits pour contre-battre les feux des minarets. L’ennemi défend pied à pied un terrain tout à son avantage. On arrive cependant ainsi jusqu’à la demeure de Ben-Aïssa, riche palais, dont les meubles, les coussins, les poutres, sont jetés dans la rue, afin d’y élever des contre-barricades qui flanquent l’attaque du centre, où se porte l’effort principal, et dont le colonel de Lamoricière s’est réservé la direction immédiate.

Cette colonne s’est fait jour, à travers un massif de constructions informes, jusque dans le quartier marchand de Constantine, traversé par une rue plus droite et plus grande que les autres, la rue du marché, large de 4 à 5 mètres. Cette rue et les ruelles adjacentes sont bordées par des rangées de cages en maçonnerie, closes par des volets en bois, qu’on eût dit construites pour des bêtes féroces, et servant de boutiques aux marchands, réunis par corporation dans ces étroits passages. Chacun de ces bazars devient le tombeau de ses défenseurs; ils s’y font tuer jusqu’au dernier dans de furieux combats corps à corps qui conduisent les Français en face d’une arche romaine fermée par une porte en bois ferré. Le colonel de Lamoricière la fait ébranler à coups de hache; mais, au moment où on l’entr’ouvre, une décharge terrible de l’ennemi, groupé sur les toits et derrière les barricades, abat toute la tête de la colonne.