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Le matériel, transporté par 1,200 chevaux ou mulets et 126 voitures, se composait de 33 bouches à feu, dont.10 de montagne, approvisionnées de 140 coups, — 6 de campagne, approvisionnées de 180 coups, et 17 de siège, savoir : 3 mortiers de 8 pouces, 4 obusiers de 6 pouces, 2 obusiers de 8 pouces, 4 canons de 16, et enfin 4 canons de 24, emmenés par la tenace conviction du général Valée, malgré la résistance de ceux dont la légèreté dédaigneuse eût fait échouer la campagne, si l’on eût écouté leurs avis. Le parc, qui contenait en outre 200 fusées de guerre, 50 fusils de rempart, des passerelles pour l’infanterie et une réserve de 500,000 cartouches, n’emportait que 200 coups par pièce de siège; c’était encore une limite posée à l’action si restreinte de l’armée française. Déjà, faute de vivres, il lui fallait vaincre avant une heure bien prochaine; il lui fallait aussi, faute de poudre, vaincre par un nombre de boulets comptés. C’était jouer une de ces parties d’échecs où l’on s’oblige à faire son adversaire mat en tant de coups et à telle case, sous peine de perdre. Cette partie-là ne réussit qu’aux joueurs les plus transcendans ; le général Valée la gagna. L’organisation classique et digne d’être étudiée qu’il avait donnée à son artillerie en avait doublé la force et la valeur.

Le génie s’était dépouillé de 100 chevaux et de 20 voitures prêtées à l’administration pour assurer les vivres du corps expéditionnaire jusqu’au moment où il les recevrait de la victoire. Le général Fleury fit généreusement à l’intérêt commun le sacrifice de la moitié de son matériel, et il s’attacha exclusivement à emporter 40,000 sacs à terre pour cheminer sur le roc nu de Constantine et suppléer à l’absence de bois pour gabions et fascines. Ils furent un précieux moyen d’accélérer une attaque pour laquelle les hommes et le temps manquaient également.

La cavalerie, trop peu nombreuse et disséminée dans les brigades, ne pouvait être et ne fut employée qu’à éloigner de la route du convoi un ennemi plus taquin qu’entreprenant.

C’était surtout d’infanterie qu’on était dépourvu. Ce qu’il y en avait était excellent; c’était un alliage de vieux soldats et de jeunes volontaires conduits par des officiers aguerris et vivifiés par ce qui fait les bonnes troupes : une noble passion et le sentiment d’un grand devoir. L’ardeur de ces masses intelligentes n’était pas l’enthousiasme présomptueux et peu durable de militaires novices appelant le danger sans le connaître; c’était la fermeté réfléchie et sereine de guerriers éprouvés, ayant mesuré le péril et marchant à sa rencontre avec la volonté de le dompter à tout prix.

Les fantassins avaient quitté les buffleteries, la giberne, le sabre-poignard et la couverture, pour porter seulement le sac de cam-