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de virilité en regagnant le temps que les illusions lui avaient fait perdre. Toute la jeunesse militaire tressaillit à l’annonce d’une vengeance guerrière. Chacun brigua l’honneur d’une place dans cette députation de l’armée française, conviée à un tournoi que tant de circonstances rendaient dramatique et solennel. Les vides ouverts par le feu et la maladie dans les rangs des vieilles bandes africaines fournirent de la place à ces soldats exempts d’ambition, que le seul bouillonnement du sang et l’attrait du péril entraînaient en foule, du fond de leur garnison, vers Constantine. Les officiers des régimens de l’intérieur furent moins heureux : la plupart virent encore tristement se refermer devant eux la porte, si rarement ouverte, qui mène à la gloire, et les favorisés payèrent avec leur sang, ou en versant celui de l’ennemi, une exception bien enviée. Parmi ces rares élus on remarquait le prince de la Moskova, jaloux de soutenir le fardeau d’un si grand nom, le capitaine de Richepanse, brûlant de venger la mort de son infortuné frère, le baron de Frossard, qui représenta sur la brèche la garde nationale parisienne.

Les oisives armées d’Europe ressentirent le contre-coup de l’enthousiasme qui animait le militaire français, et envoyèrent de nombreux volontaires pour assister au siège si attrayant de « la ville du diable. » Ces étrangers, trop facilement accueillis dans nos rangs, ne méritèrent pas tous ce droit de bourgeoisie, dont ils n’usent en général que pour étudier nos défauts et notre côté faible. En les renfermant dans le cercle étroit d’une hospitalité officielle, on ne devrait jamais oublier que l’armée française a l’honneur d’être, à elle seule, la rivale de toutes les armées étrangères, si souvent unies entre elles pour ne former, par leur union contre la France, qu’une même et unique phalange européenne. Parmi ces dilettanti di guerra, trois arrivèrent trop tard, et auraient eu des titres à être admis en première ligne, car c’étaient des officiers de cette armée prussienne ardente à saisir toutes les occasions de s’instruire, et estimée de ceux-là mêmes qui doivent la combattre, car elle est nationale et patriote.

La certitude du combat, qui excitait un élan si général, venait, à la dernière heure, imposer de nouveaux devoirs au gouvernement, talonné par l’inexorable saison et résolu à prendre Constantine sur-le-champ et à tout prix. Il se mit activement à l’œuvre, afin de compléter des moyens qu’on s’était habitué à regarder comme suffisans pour une entreprise problématique, et qui se trouvèrent bien impuissans lorsqu’il fallut sérieusement entrer en campagne. En faisant jouer à la fois tous les ressorts d’une civilisation puissante et d’un pouvoir fortement centralisé, on prouva qu’il n’est jamais trop tard pour un grand peuple rendu à ses allures naturelles. Ainsi bien souvent l’ouvrier insouciant, mais capable, réussit en-