Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/766

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à se multiplier. Un conseiller d’état qui a été chargé l’an dernier d’une mission dans le bassin de la Loire, M. Charles Robert, a fait récemment une conférence sur ce sujet, sur les crises de l’industrie, sur les associations, sur la participation des ouvriers aux bénéfices de l’entreprise à laquelle ils coopèrent. La conférence de M. Charles Robert, devenue un petit livre, la Suppression des grèves, est une étude instructive, scrupuleuse, substantielle, de ces délicates et cruelles questions que les événemens du Creuzot ravivent aujourd’hui, qui restent à coup sûr l’élément le plus sérieux de la situation de la France.

Et quant à cette affaire d’Auteuil dont nous parlions, elle est maintenant dénouée, La haute cour a mis fin au drame, elle a de son autorité souveraine absous le prince Pierre Bonaparte de ce meurtre qui a été la tragique diversion des premiers jours du ministère actuel. Là où la justice a passé, il ne faut plus rien dire ; il n’y a plus qu’à se souvenir du singulier spectacle des débats qui ont précédé cette sentence. Que l’accusé eût été condamné, qu’il ait été absous, c’est du reste absolument la même chose au point de vue moral. Il restera toujours surprenant qu’on ait voulu faire un événement public d’un incident déplorable et vulgaire. Il a fallu une surexcitation violente qui s’est renouvelée jusque devant le tribunal, et ceux qui s’indignent le plus aujourd’hui d’un acquittement sont probablement ceux qui ont le plus contribué à ce résultat. Les jurés de Tours n’ont pas précisément absous un meurtre, ils ont peut-être bien condamné les déchaînemens de passion qui ont poussé vers la mort le malheureux jeune homme victime du coup de pistolet d’Auteuil. A parler franchement et sans flatterie aucune, c’est M. le procureur-général Grandperret qui seul a dit le vrai mot de cette affaire dans un réquisitoire juste, élevé, sévère et presque émouvant, sans faiblesse pour le prince accusé et sans acharnement contre lui. L’honorable M. Grandperret n’a pas parlé seulement en magistrat, il a parlé en moraliste et même en politique supérieur lorsqu’il a caractérisé les violences qui engendrent tout naturellement de tels faits, qui au fond sont sans danger pour la paix publique, mais qui sont une altération du génie, du goût, des facultés intellectuelles de la France, de tout ce qui a fait jusqu’ici l’éclat et la séduction du caractère français. En vérité, s’il y a quelque chose d’étrange, c’est ce qui est apparu là pendant quelques jours. On n’a vu que des hommes jouant avec des revolvers, toujours prêts à porter la main sur une arme. C’est un monde un peu bizarre, tout à fait propre à justifier l’existence des gendarmes, car enfin sans ces honnêtes gendarmes voilà des citoyens qui pourraient bien s’entre-dévorer sous prétexte que ce sont là les mœurs américaines. Et voilà ce qu’on voudrait faire de notre pays ! Grand merci, nous aimons tout autant notre brillante et chevaleresque France, qui n’a pas besoin d’abdiquer ses qualités d’autrefois pour être une grande, juste et libre démocratie.