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pour ne citer que ceux-là parmi les plus célèbres, — ne craignent pas de pousser l’élégance jusqu’à la recherche fastueuse, et même avant l’époque où travaillent les trois maîtres, c’est-à-dire avant la première moitié du XVIe siècle, ce goût instinctif pour le luxe est déjà bien près de prédominer. On pourrait dire en général que la sculpture dans les états lombards ou vénitiens se rapproche de la sculpture florentine par le respect systématique et préconçu des mêmes principes, mais qu’en appliquant ces principes elle les modifie involontairement, et les transforme en raison de certaines inclinations innées, persistantes, et se faisant jour malgré tout.

Veut-on des preuves de ces influences toutes locales, qu’on jette les yeux sur les monumens sculptés même par des artistes florentins à Venise ou dans quelque ville voisine. Il semble qu’en travaillant dans un pareil milieu, ces maîtres aient senti le besoin de renouveler jusqu’à un certain point leur manière, qu’ils se soient imposé le devoir d’accentuer des intentions dont ils auraient ailleurs formulé l’expression avec plus de retenue. Si la statue équestre du condottiere Gattamelata à Padoue avait dû s’élever sur une des places de Florence, Donatello se serait-il autant préoccupé des moyens de donner à son travail un caractère de somptuosité? Aurait-il prodigué ainsi sur les diverses parties de l’armure ou du harnachement les figurines en haut-relief, les ornemens compliqués, tous ces détails plus propres en réalité à surcharger les lignes qu’à en accroître la majesté? Verrocchio de son côté, en modelant à Venise sa statue de Bartolomeo Coleoni, — la plus belle figure équestre d’ailleurs qu’aient produite les temps modernes, — Verrocchio ne démentait-il pas quelque peu ses ouvrages antérieurs et son origine florentine par la violence même de l’attitude choisie et par l’animation presque excessive du style?

De nos jours, il est vrai, quelques écrivains ont voulu restreindre la part attribuée jusqu’ici au maître florentin dans l’exécution de ce monument célèbre, et M. Perkins à son tour, dans un des chapitres les plus intéressans de son livre, a scrupuleusement discuté la question. Par la production ou le rapprochement de certaines dates et de certains témoignages, il est arrivé à peu près à établir que Verrocchio était mort non-seulement, — comme on le savait déjà, — avant que la statue de Coleoni fût coulée en bronze, mais même avant que le modèle eût été mis en état de subir cette opération dernière. Fort bien; mais lors même que le sculpteur vénitien Alessandro Leopardi serait, ainsi que le pense M. Perkins, intervenu dans l’entreprise à une époque où elle n’était encore que commencée, il n’aurait fait en tout cas que poursuivre les projets d’autrui, et mener à fin une œuvre dont l’invention ne lui appartenait pas.