Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/704

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quitta pas tout de suite l’Ecosse ; il y trouvait un abri contre les persécutions de cinq ou six créanciers trop exigeans qu’il aurait bien voulu faire passer pour des ennemis politiques.

Franchissons un espace de quelques années ; aussi bien l’histoire intérieure de l’Angleterre ne présente jusqu’au décès de la reine Anne que le tableau de luttes incessantes entre les protestans et les jacobites, entre les partisans de l’église établie et ceux des églises dissidentes. Defoe, jadis l’un des champions du parti whig, était devenu suspect à ses anciens amis par une liaison trop intime avec Harley, qui, sous le nom de comté d’Oxford, était maintenant l’un des chefs du torysme. La mort de la reine, survenue le 1er août 1714, appelait au trône le prince de Hanovre, George Ier. Le choix de la nouvelle dynastie avait été l’œuvre des whigs ; le couronnement du nouveau roi fut leur triomphe, et ils en abusèrent. Les anciens ministres, traités en criminels d’état, furent enfermés à la Tour de Londres, on parlait même de les envoyer à l’échafaud ; puis, du haut en bas de l’échelle administrative, depuis les plus grands dignitaires jusqu’aux simples ouvriers typographes de la Gazette officielle, le personnel du gouvernement fut renouvelé. Defoe fut enveloppé dans cette disgrâce, quoiqu’il eût plaidé avec plus de chaleur que qui que ce fût la cause de la dynastie de Hanovre. Il était le protégé du comte d’Oxford, il avait joui de la con fiance de la reine ; la mort de l’une et la disgrâce de l’autre furent le signal de sa propre ruine. Bientôt après, il était poursuivi pour un article de journal assez insignifiant, lorsque survint entre lui et ses persécuteurs une transaction dont l’histoire, paraît-il, était restée presque inconnue jusqu’à nos jours.

Les biographes de Daniel Defoe ont cru longtemps que le rôle politique de ce brillant pamphlétaire avait pris fin peu après l’avènement de George Ier. Il semble avoir disparu de l’arène vers 1715, pour se livrer pendant les dernières années de sa vie à de pacifiques travaux littéraires, qui lui ont fait une réputation plus durable que les œuvres éphémères de la polémique militante. Il avait alors cinquante-six ans, sa plume lui assurait une honnête aisance ; l’accession au trône d’un souverain allemand rompait les liens qu’il avait eus avec la cour. Il venait de publier en brochure un Appel à l’honneur et à la justice où l’on voulait voir en quelque sorte son testament politique. Personne ne s’étonnait que, fatigué de la lutte, il se fût mis à l’écart ; mais en 1864 on découvrit dans les archives du royaume quelques lettres écrites de sa main d’où jaillit la preuve qu’après cette retraite supposée il était resté le collaborateur assidu de plusieurs journaux politiques. Guidé par ces documens, M. Lee a compulsé les publications de l’époque, et il en