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termédiaire de mon premier bienfaiteur, de plusieurs missions honorables, quoique secrètes. » Ces derniers mots laissent une fâcheuse impression. Qu’étaient ces missions honorables, quoique secrètes? C’est ce que nous allons voir.

Les communes se montraient hostiles à la politique libérale et éclairée qui prévalait dans la chambre des lords. Après que la reine les eut engagées plusieurs fois en vain à plus de prudence et de modération, le ministère eut recours à une mesure radicale : le parlement fut dissous dans les premiers mois de l’année 1705. Au moment où les élections allaient avoir lieu, Defoe, que des difficultés d’argent contraignaient à s’éloigner de Londres, fut chargé par son ami Harley de visiter les comtés du sud-ouest, et d’y soutenir la candidature des hommes dont le ministère espérait avoir le concours dans la nouvelle chambre des communes. Entre les deux partis qui se disputaient le pouvoir, la querelle était religieuse autant que politique. Les succès que Marlborough remportait sur le continent donnaient au gouvernement un vernis de popularité. Les tories disaient et écrivaient que l’église était en danger, et que l’on ne pouvait la sauver qu’en réduisant à l’impuissance les whigs et les dissidens. Defoe, qui avait déjà mis sa plume au service du ministère, partit au milieu de cette effervescence générale. Voyager à cheval, — c’était à peu près le seul moyen de locomotion en ce temps, — assister aux meetings, faire des discours, visiter les personnes influentes de chaque bourg, tout cela ne l’empêchait pas de trouver assez de loisir pour expédier à Londres cinq fois la semaine le manuscrit de sa Revue, où les grosses questions du jour étaient débattues.

La façon dont libraires et imprimeurs en usaient alors avec lui montre assez quelle faveur obtenaient ses écrits. Un jour on le réimprimait sans lui en avoir demandé la permission, d’autres fois on mettait sous son nom, pour en faciliter la vente, quelque brochure scandaleuse que l’on criait à haute voix dans les rues, ou bien on prenait dans ses œuvres des phrases choisies de manière à exciter la crainte des gens paisibles, et l’on publiait cela sans scrupule. Il lui arriva pis encore à l’occasion d’un ouvrage sur lequel il avait fondé de grandes espérances. Durant son emprisonnement, il avait tracé le plan et commencé la rédaction d’une longue satire en vers sur le gouvernement. C’était une critique amère du parti tory, intitulée Jure divino. Par prudence, il s’était abstenu de publier cette satire tant que ses adversaires étaient au pouvoir, des amis lui ayant fait comprendre qu’un parlement tory supprimerait le livre et l’auteur; mais enfin en 1706, les circonstances étant changées, l’ouvrage fut édité avec luxe, accompagné d’un beau portrait de l’auteur, au prix