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son pour dettes; il ne tarda pas toutefois à entrer en arrangement avec ses créanciers, qu’il désintéressa complètement par la suite, nous assure M. Lee. Ce fâcheux événement explique pourquoi l’on n’entendit plus parler de lui de quelque temps. Des marchands qui avaient confiance en sa capacité voulaient lui donner la direction d’un comptoir à Cadix, car il avait la réputation de bien connaître l’Espagne, qu’il avait déjà visitée. Il s’y refusa par répugnance à quitter son pays. À cette époque, la guerre venait d’éclater entre la France et l’Angleterre, guerre nationale, puisqu’il s’agissait de défendre le roi Guillaume et la reine Marie contre Louis XIV, qui soutenait la dynastie déchue. L’enthousiasme était grand dans toute l’Angleterre; les anciennes distinctions de whig et de tory, d’église établie et d’églises dissidentes, s’effaçaient presque. Toutefois les jacobites se remuaient avec activité, et leurs efforts trouvaient un point d’appui favorable auprès du menu peuple dans l’élévation des impôts que les besoins de la guerre avaient fait augmenter. Defoe prit volontiers la plume afin de rendre populaire un monarque qu’il avait acclamé six ans auparavant. Le gouvernement reconnut ce service en conférant bientôt au publiciste un petit emploi qui le débarrassait des soucis de l’existence quotidienne.

Il y a quelque sujet de s’étonner qu’un homme si bien doué pour la controverse facile et légère n’eût pas trouvé l’occasion jusqu’alors de mettre plus souvent son talent en évidence. Sans doute il n’y avait pas encore de journal périodique; mais on y suppléait par de petites feuilles qui se vendaient dans les rues lorsqu’un événement soulevait l’intérêt du public. Un pamphlet de ce genre, écrit en vers (dans ces temps héroïques du journalisme, on mettait volontiers de la poésie dans la politique), parut en 1700; il était intitulé les Etrangers, et il attaquait avec la dernière violence la nation hollandaise en général et le roi Guillaume en particulier. Sous le titre, assez difficile à traduire, de True born Englishman, une réponse vigoureuse fut bientôt publiée. C’était une satire en vers : l’auteur anonyme reprochait à ses concitoyens leur ingratitude envers le roi. Recherchant les origines de la nation anglaise, il prouvait qu’elle est un mélange de toutes les races. Le véritable Anglais, disait-il, c’est une ironie, une fiction, une métaphore inventée pour désigner un homme allié à tous les peuples de l’univers. Certes le professeur Huxley, qui de nos jours vient de reproduire presque la même thèse avec les preuves bien autrement concluantes de l’ethnologie moderne, n’aura point le même écho que le pamphlétaire de 1701. The True born Englishman eut un succès prodigieux. Peut-être, depuis l’invention de l’imprimerie, aucun écrit n’avait-il été réédité autant de fois en une seule année. L’au-