Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/547

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les travaux de tout genre allaient l’assaillir à la fois. Membre de maintes commissions, presque toujours choisi pour rapporteur, assidu néanmoins aux séances publiques et se mêlant souvent aux débats, sans abuser jamais de la parole, il devint en très peu de temps si utile et si agréable à la chambre, cette sorte de bienveillance qu’il s’y était acquise eut fait bientôt de tels progrès, qu’arrivé le dernier, et de tous ses collègues le plus jeune, il en était déjà un des premiers, des plus considérables et des mieux écoutés.

S’était-il donc donné cette situation commode qui dans toute assemblée assure à ceux qui s’en contentent le privilège d’être bien avec tout le monde? se tenait-il à l’écart de la politique militante? se posait-il en simple député d’affaires? Loin de là : esprit politique avant tout, par caractère non moins que par principes, il ne savait pas flotter entre deux eaux, et, sans jamais être violentes, ses opinions, en toute circonstance, étaient encore moins ambiguës. La preuve ne s’en fit pas attendre. Un mois à peine après son entrée à la chambre éclata ce célèbre procès qui devait conduire à la barre le gérant d’un journal, du plus fougueux des journaux de ce temps, la Tribune. Notoirement outragée, la chambre usait d’un droit incontestable, mais d’un de ces droits qui, pour être efficaces, veulent être exercés avec grand à-propos. Or certains membres de la majorité, des moins timides, et Duchâtel était du nombre, pensaient que l’occasion était loin d’être bonne, que ce genre de répression devait exaspérer plutôt qu’intimider la presse, et que la cause de l’ordre et de la vraie liberté ne gagnerait pas dans cette aventure tout ce que l’assemblée risquait d’y perdre ; mais, le sort une fois jeté et la lutte engagée, la chambre aux prises avec le journalisme radical, le suprême danger était qu’elle faiblit. C’est ce qui semblait près d’arriver. Dans la confusion d’un débat préalable où se discutaient les formes de procédure qu’il s’agissait d’improviser, les juristes de l’opposition avaient la partie belle; étalant leur science, invoquant la logique, ils étaient sur le point d’entraîner l’assemblée à déclarer que le jugement serait rendu à la même majorité que les verdicts du jury, ce qui donnait des chances presque certaines d’acquittement; le désarroi était au centre, la bataille semblait perdue, lorsque, par une de ces illuminations de bon sens qui lui étaient familières, notre nouveau-venu, sans se soucier des rancunes démagogiques qu’il allait déchaîner contre lui, demanda la parole et eut bientôt fait voir à ses collègues qu’on leur tendait un piège, qu’on troublait leur conscience par une fausse analogie, que les exceptions admises en matière judiciaire n’avaient pas de raison d’être en matière politique, que ce n’était pas en vertu d’un droit judiciaire, mais seulement à titre de pouvoir politique que la chambre jugeait le gérant de la Tribune,