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d’universalité, les générations successives des hommes les ayant connus sous les mêmes traits. Il est bien entendu que ce type consiste surtout dans le caractère moral qui, respecté, suffit pour conserver l’identité du personnage que le peintre veut présenter, et pour le faire reconnaître à l’instant du spectateur. Ainsi un peintre ne pourrait, sans pécher contre le bon sens, présenter un saint Jean vieux et laid, un saint Pierre jeune et sans gravité, un saint Paul qui n’exprimât pas l’autorité, une sainte Madeleine qui fût autre chose que tendresse et abnégation, etc. Les Flamands ont certes beaucoup osé avec ces types, car ils leur ont donné tous les caractères de leur nationalité, et cependant qui se trompe sur ces personnages ? qui ne nomme chacun d’eux à première vue ? Au contraire, je défie bien qu’on nomme sans se tromper chacun de ces personnages de l’Ensevelissement du Caravage. La Vierge seule est reconnaissable, grâce à la douleur qui se lit sur son visage. Encore cette Vierge n’a-t-elle aucune expression qui la tire d’une condition privée, et en fasse un personnage intéressant d’une manière universelle ; ce n’est point là Marie, la mère du Christ, dont la douleur est celle de tous ; c’est une pauvre veuve italienne de la petite bourgeoisie, quinquagénaire, avec des restes de beauté un peu molle, et dont la douleur n’intéresse qu’elle-même et quelques amis. Et qu’est-ce que cette fillette maigre, pâle, chétive, au profil sec et régulier, avec une expression de faiblesse énergique ? Est-ce que ce serait quelqu’une des saintes femmes par hasard ? Eh ! non, c’est une fillette des quartiers populaires de Rome ou de Naples qui assiste à l’enterrement d’un cousin ou d’un oncle. Et les personnages qui sur le devant de la scène approchent du sépulcre le cadavre du Christ, est-ce que ce sont le noble Joseph d’Arimathie et le bon Nicodème ? Non, ce sont de serviables voisins qui sont venus assister la famille en ces circonstances douloureuses. Avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de voir dans ce tableau autre chose qu’un groupe de Transteverins ou de paysans de la campagne italienne qui ensevelissent un des leurs. Cela dit, il faut reconnaître que l’énergie d’exécution de cette toile arrache l’admiration. Quelle solidité de touche ! quelle pâte vigoureuse ! comme ces personnages font saillie, et que ce coloris sombre a de force !

Pendant que le Caravage stationnait sur la voie publique pour racoler ces premiers passants venus de bonne volonté dont il a fait les personnages de ses tableaux, il eut le temps d’observer un phénomène très-intéressant, celui de la nature de la nuit italienne. Les ténèbres d’Italie ont une vigueur que nous ne leur connaissons pas dans nos brumeux pays tempérés ou dans nos froids pays du nord ; elles ont aussi une tout autre manière de faire leur entrée dans le monde. Le char de la nuit, le char du soleil ; ces expressions,