Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donc adorée comme une, princesse Borghèse ou Barberini du ciel, qu’ils ont supposée logiquement être une protectrice plus efficace que la plus belle des filles du Transtevère ou de la campagne romaine.

J’ai voulu savoir jusqu’à quel point ma supposition était fondée, et je l’ai exposée un jour devant un Romain que je rencontrai à notre académie du Monte-Pincio. « Ce que vous dites est tellement vrai, me répondit-il, que je puis corroborer votre supposition par un fait dont j’ai été le témoin pas plus tard qu’hier. Je me suis arrêté au coin du Corso, devant une boutique de gravures où se trouvait une madone de Murillo, jolie brune piquante, à la physionomie à la fois vive et aimable, légèrement ébouriffée, et avec un petit air de gitana, comme toutes les vierges du maître espagnol. Deux petites blanchisseuses étaient en contemplation devant cette image et se communiquaient leurs impressions : — C’est une madone, dit l’une. — Oh que non pas ! répondit la seconde, ce n’est pas une madone, c’est une paysanne. Je t’assure bien que je ne ferais pas mes prières devant elle. » Ce mot de la blanchisseuse romaine devant la madone de Murillo nous aide à comprendre le sentiment d’adoration que le peuple de Rome a porté sur la madone du Sansovino. Si le peuple n’aime guère en tout pays que ce qui lui ressemble, en revanche il ne respecte que ce qui est entièrement différent de lui, et cette madone du Sansovino a reçu un culte précisément parce qu’elle porte une empreinte aristocratique.

Si l’on cherchait les raisons qui ont déterminé la dévotion du peuple italien pour telle ou telle image, je suis convaincu qu’on s’apercevrait que ces préférences reposent la plupart du temps sur des nuances de sentiment singulièrement délicates, profondes et subtiles, en sorte que cette idolâtrie dont on l’accuse, loin d’être chez le peuple italien un signe d’infériorité, est au contraire la preuve d’une vie morale infiniment plus poétique et surtout plus souple que celle d’aucun autre peuple de l’Europe. J’en veux citer un second exemple. L’image la plus vénérée de Rome est à coup sûr la statue de saint Pierre qui se trouve à la basilique vaticane. J’avais toujours entendu citer ce fait comme la preuve la plus convaincante du. paganisme romain. Cette image est une ancienne statue de Jupiter dont le christianisme a fait un saint Pierre, et il est certain que, lorsqu’on vous raconte une telle chose à deux ou trois cents lieues de Rome, vous vous sentez involontairement choqué, quelque peu hostile que vous soyez ; mais comme on a peu envie de se scandaliser lorsqu’on est sur les lieux mêmes, et qu’on peut se rendre compte du caractère de l’image adorée ! Cette statue était une figure de Jupiter, me dites-vous ? Je considère son attitude, sa physionomie,