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d’un sérieux terrible, et, pour la secouer, je m’arrête à regarder longuement le petit temple de Vesta, qui fait face à l’église sur la place de la Bocca de la Verità, La vue de ce joli temple rond, avec son toit au caractère agreste, chasse loin de moi ces austères pensées byzantines, et me ramène aux souvenirs de jours plus naïfs. C’est une de ces innombrables chapelles que les Romains avaient multipliées en l’honneur de la Vesta mater, la plus célèbre des divinités indigènes de Rome. Cela me reporte à une société toute rustique, et je pense à l’antique roi sabin et à l’invocation qui termine le premier chant des Géorgiques. Pour achever de me rassurer tout à fait, je tourne autour de la fontaine que le pape Albani a fait élever au centre de cette place, et je redeviens aussi calme que si ces sirènes et ces tritons avec leur majesté de sculptures du XVIIe siècle avaient fait pleuvoir sur ma tête toute l’eau qu’ils peuvent verser en cinq minutes. Près de cette fontaine, un charron et ses apprentis sont occupés à appliquer à une roue de carriole sa ferrure de fer, car ce n’est pas à Rome que le petit peuple se gêne pour obstruer la voie publique de ses industries. Nous voilà rentrés dans la réalité la plus prosaïque ; mais, si vous n’êtes pas fatigués de grandes émotions, vous n’avez qu’à faire quelques pas, et vous vous trouverez en face d’un admirable spectacle, la vue du Mont-Aventin et du cours du Tibre au Ponte rotto. Tels sont les contrastes de Rome.


III. — SAINT-AUGUSTIN. — LA MADONE DU SANSOVINO. — MICHEL-ANGE DE CARAVAGE À ROME.

De Santa-Maria-in-Cosmedin à Saint-Augustin, le saut est considérable en apparence, car tout diffère entre ces deux églises, art, esprit, souvenir, origine. Santa-Maria-in-Cosmedin est une des plus vieilles églises de Rome, tandis que Saint-Augustin vint au monde à la fin du XVe siècle et eut pour père un Français, le cardinal d’Estouteville. Nous les rapprochons cependant, parce que ce sont les deux églises qui nous disent le mieux ce qu’il faut penser de ce paganisme qui a été tant et si souvent reproché aux Romains. Santa-Maria-in-Cosmedin nous a montré comment, durant les siècles de transition, les chrétiens firent entrer dans leurs temples, le plus naturellement, le plus logiquement et le plus innocemment du monde, certains débris du paganisme, et l’église de Saint-Augustin nous présente l’exemple le plus remarquable de ce qu’on a nommé l’idolâtrie romaine.

À l’entrée de l’église se trouve un groupe du Sansovino représentant la madone et l’enfant. Les Romains ont pris cette madone en