Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

numériques. Le monde inorganique est proprement l’empire des causes. Franchissons les limites qui le séparent du règne des êtres organisés. A peine entrés dans celui-ci, nous voyons les causes revêtir de tout autres apparences. La vie. Organique, même à ses plus humbles degrés, se développe par l’action de certains stimulans externes ou internes, tels que la chaleur, la lumière, l’air, les alimens solides ou liquides, etc., lesquels ne présentent plus qu’une lointaine et obscure analogie avec les effets produits ; Les changement qui s’accomplissent dans cet ensemble délicat de parties que l’on appelle un organisme ont lieu en présence et sous l’action d’un stimulant ; mais ils semblent avoir si peu de rapport avec cette action, qui, à un certain degré, paraît exalter la vie, et qui, à un autre degré, peut en troubler, suspendre ou arrêter pour toujours les manifestations, que le véritable principe de ces modifications diverses réside évidemment dans l’organisme. Un rayon de soleil, une ondée rapide, une petite quantité de chaux mêlée au sol, accélèrent la végétation dans une proportion extraordinaire ; un excès de chaleur ou d’humidité, la présence de quelque autre élément, la détruisent. Quelques grains d’opium ou une légère dose de tel ou tel poison surexcitent dans l’animal les fonctions organiques ; que cette mesure soit dépassée, les mêmes substances amènent la paralysie et la mort. Ainsi la diversité s’accuse entre les causes et les effets. Faisons un pas de plus : tout dans l’animal ne relève pas de la vie végétative ou organique ; l’existence est attachée en lui à des conditions bien autrement complexes que dans le végétal ; elle n’est plus soumise à l’action de simples stimulans. La vie de l’animal ne serait pas suffisamment assurée par des actions de cet ordre, il ne tarderait pas à périr, s’il ne pouvait aller saisir des objets éloignés de lui pour se les assimiler ou pour les faire servir à la satisfaction de ses besoins, et s’il n’avait par conséquent la faculté de les apercevoir. Ces objets, placés à distance, agissent uniquement sur lui par leurs propriétés physiques ou chimiques, ils le modifient par les perceptions qu’il en a, perceptions qui s’accomplissent au moyen d’un système nerveux, et, chez les animaux de l’ordre le plus élevé, d’un cerveau. La plante ne perçoit pas : à quoi servirait cette faculté sans la locomotion, qui permet d’atteindre ou d’éviter les objets perçus ? La plante est fixée au sol, tandis que l’animal jouit d’une indépendance locale plus ou moins complète. La volonté se manifeste donc chez lui plus clairement que dans le végétal et correspond par ses manifestations à un organisme plus compliqué, sans toutefois changer de nature. Les actions qui constituent le monde animal, où l’intelligence s’épuise dans la satisfaction des besoins, sont caractérisées par la perception et la sensation. Au-delà de ce point, il semble que nous entrions dans un monde nouveau.