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Parmi les poissons, il y a des espèces qui saisissent leur proie au-devant d’elles ou même hors de l’eau, d’autres espèces qui cherchent leur nourriture dans les fonds vaseux. Chez les premières, comme la perche, la mâchoire inférieure dépasse la mâchoire supérieure ; chez les dernières, c’est le contraire, la bouche est refoulée en dessous, et souvent elle est accompagnée d’appendices charnus propres à remuer la vase ; le barbeau en est un exemple. Ainsi partout un caractère dénote des habitudes et des instincts auxquels l’animal ne peut se soustraire.

A l’égard des insectes et des arachnides, on a poussé fort loin l’étude des coïncidences entre les mœurs et les particularités de la conformation extérieure. L’examen des instrumens de travail chez les espèces habiles à construire suffit aujourd’hui pour apprécier sûrement le genre d’industrie de l’espèce. Par la considération des appendices, on reconnaît de quelle façon et dans quelles conditions l’animal doit se mouvoir. Dans une infinité de circonstances, de la disposition des organes de la vue on déduit sans crainte d’erreur l’existence d’habitudes vagabondes ou sédentaires avec une foule de nuances. En même temps, chez les insectes et les arachnides, on suit pas à pas, mieux peut-être que partout ailleurs, les progrès de l’instinct et de l’intelligence avec les degrés de perfection des instrumens, comme l’amoindrissement de ces facultés avec la simplification des appendices.

Une condition de séjour différente de celle qui se présente habituellement à nos regards offre un intérêt considérable relativement à l’appropriation des organismes aux milieux et à la question des origines des êtres. Des animaux de diverses classes vivent dans des endroits absolument privés de lumière ; ces animaux sont aveugles. Il y a juste un siècle, on découvrit dans des eaux souterraines de la Basse-Carniole une espèce de batracien d’assez grande taille, 30 à 35 centimètres, d’un blanc rosé, portant des branchies extérieures, en un mot ressemblant, avec de fortes proportions, à une larve de triton ou salamandre aquatique. C’était un animal aveugle ; un zoologiste le fit connaître sous le nom de protée serpentin (protœus serpentinus). La première idée fut que ce batracien était entraîné dans les grottes par les eaux qui, à l’époque des pluies, débordent des lacs de Sittich ; mais cette supposition ne se trouva point justifiée. Les protées n’ont jamais été pris que dans des eaux souterraines, et l’on s’en procure toujours aisément dans la grotte d’Adlesberg, située sur le chemin de Vienne à Trieste. Voilà donc une espèce d’un genre particulier, fort distinct de tous ceux qui existent en Europe, vivant d’une manière constante dans l’obscurité. Il y a dans le Kentucky, aux États-Unis,