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même en les promulguant, car il y met toute sa conscience. Il purifie en quelque sorte au feu de sa piété les calculs du Gesù, qui sont d’un ordre bien différent. Bon jusqu’à la tendresse quand sa foi n’est pas en jeu, il est susceptible de devenir implacable pour des motifs religieux. L’église catholique ne pouvait, dans les temps que nous traversons, posséder un pape plus respectable et plus dangereux. Plutôt moine exact et austère que théologien, il connaît très médiocrement l’histoire de l’église ; aussi va-t-il droit à son but, sans être arrêté par aucune considération : de là son intervention constante et passionnée dans la préparation et dans la conduite du concile.

Longtemps avant le 8 décembre 1869, le pape avait pris parti pour la droite extrême par un bref explicite adressé à Mgr Dechamps à l’occasion de sa brochure sur l’infaillibilité du successeur de saint Pierre. D’ailleurs la Civiltà cattolica, qui, comme nous l’avons dit, est devenue une véritable institution pontificale organisée par l’autorité supérieure, donnait tous les jours la pensée de Pie IX, et c’est avec son assentiment, si ce n’est sur son ordre, qu’elle a publié le fameux programme qui a soulevé tant d’opposition. Le pape, aussitôt la bulle d’indiction lancée, a envoyé aux évêques un questionnaire qui révèle ses préoccupations, car il porte sur les moyens d’abolir le mariage civil, les écoles laïques, sur le danger de l’introduction des domestiques hérétiques dans les maisons pieuses et sur la profanation des cimetières, qui ne sont plus uniquement ouverts aux catholiques. Rien de plus étroit que cette consultation demandée par la papauté à l’épiscopat du- monde entier. On la voit uniquement soucieuse de resserrer les liens de l’esclavage spirituel sans qu’aucune des grandes questions du temps soit seulement abordée.

Le soin principal du saint-père avant le concile a été d’organiser les congrégations appelées à élaborer les décrets qui devaient être soumis à la haute assemblée. Ces congrégations se sont distribué la besogne de manière à avoir des formules prêtes sur tous les points de la foi, de la morale sociale et de la discipline. Formées de prélats romains et de théologiens de divers pays, elles étaient présidées par des cardinaux et entièrement inspirées par les grands docteurs de la Civiltà cattolica. On espérait qu’elles abrégeraient si bien la tâche du concile qu’il se bornerait à sanctionner leur travail. Les scribes du Gesù insistaient beaucoup dans leurs publications sur ce que l’excellence d’un concile pouvait se mesurer à sa brièveté ; au reste, la Civiltà cattolica parlait sans détour d’enlever les décisions principales par acclamation. On trouve une piquante révélation de ces projets dans une brochure assez naïve intitulée : A la veille du concile, qui a été beaucoup louée dans le