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aux suggestions de l’esprit des ténèbres. L’affaire du pape Honorius est bien connue, elle fait même aujourd’hui autant de bruit qu’au VIIe siècle. Il est notoire qu’il avait accepté l’hérésie monothéliste, qui n’admettait qu’une seule volonté dans l’Homme-Dieu. Il est plus évident encore qu’il a été condamné par le concile œcuménique tenu à Constantinople en 681, et que ses écrits ont été voués aux flammes. Les ultramontains, après avoir vainement essayé de contester l’authenticité de ce décret, s’efforcent d’en appeler et d’établir qu’Honorius a été mal compris. La curie romaine s’épargne cette peine ; elle a très habilement remanié son bréviaire. Dans l’office du pape Léon II, le nom d’Honorius figurait au nombre des hérétiques condamnés sous son pontificat ; on a tout simplement effacé ce nom et arbitrairement mutilé le texte pour abréger, dit le père Garnier. Cet euphémisme charmant est un aveu. Il n’en demeure pas moins qu’un pape au VIIe siècle n’était point considéré comme au-dessus du jugement de l’église, et que l’autorité souveraine, la grande cour de cassation de la chrétienté, n’était pas à Rome. L’Occident lui-même était d’accord avec l’Orient pour sauvegarder le droit de l’église, car nous voyons en 774 la grande assemblée de Francfort rejeter le culte des images, que voulait lui imposer le pape Adrien Ier, qui cette fois s’appuyait sur les décisions d’un concile d’Orient.

Tout change à partir de cette époque. Il ne rentre pas dans notre plan de retracer les agrandissemens du pouvoir papal et cette tentative ambitieuse de ressusciter une monarchie universelle, une sorte de césarisme catholique mettant le glaive impérial au service de l’église ou plutôt de son chef absolu. Pour réaliser ce rêve, Rome déploya aux XIe et XIIe siècles autant de génie, de ferme et opiniâtre vouloir, de persévérante ardeur, d’habileté politique que la Rome antique. Elle eut aussi son corps d’armée modèle, sa légion, dans les grands ordres monastiques du moyen âge. Sans contester aucun des services qu’elle a rendus à la civilisation, il faut convenir qu’elle n’a pas plus hésité sur le choix des moyens que son illustre devancière dans la carrière d’une ambition sans limite et sans scrupule. Nous en appelons au témoignage de ce fameux livre de Janus, qui ne vient pas d’une source hérétique ; on sait qu’il est l’œuvre de la portion la plus savante de ce catholicisme allemand peut-être destiné à sauver l’église des dernières servitudes. C’est là que l’on peut suivre les envahissemens de la domination papale, ses lents et sûrs progrès, et cet art incomparable de profiter des occasions changeantes pour réaliser un plan aussi immuable dans son dessein que souple dans les moyens employés. On voit l’église de Rome devenir insensiblement la cour de Rome, la curie romaine subordonner de