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qui l’auront précédé, et on ne songera plus guère à la période d’élaboration et de discussion qui révèle aujourd’hui le fond réel des pensées et des cœurs, qui soulève au souffle orageux de débats contradictoires le voile d’une apparente unité. Le présent lui-même n’est-il pas d’ailleurs plein d’enseignemens ? Il nous initie à une situation complexe, à des déchiremens intérieurs qui se dissimulent facilement dans les temps ordinaires, mais dont la manifestation ardente est l’un des signes les plus caractéristiques du temps. Nous croyons donc utile d’étudier le concile dans sa préparation, dans sa constitution et dans ses débuts. On prête au saint-père un de ces mots spirituels dont il est prodigue dans sa verte vieillesse. « Les conciles, aurait-il dit, traversent trois périodes. La première appartient au démon, la seconde aux hommes, et la troisième au Saint-Esprit. » Les deux premières sont ainsi qualifiées parce qu’elles échappent encore aux oracles imposés, et n’évitent pas entièrement les libres discussions qui sont, comme on sait, les puissances démoniaques par excellence. Aussi nous offrent-elles un intérêt tout particulier. Quand on en sera venu à l’inspiration passive ou en d’autres termes à la docilité absolue, si toutefois on y arrive, les protonotaires apostoliques suffiront à l’histoire du concile. Pour le moment, il est encore vivant, c’est-à-dire agité en sens contraires, et il nous offre une représentation fidèle de l’église catholique considérée dans ses diverses tendances. Il nous apprend aussi comment la partie de l’église qui aspire à un absolutisme effréné marche à ses fins pour le plus grand malheur de la religion et de la société moderne. Comme elle n’a pas encore achevé sa victoire, ses visées peuvent être prises sur le fait en quelque sorte. C’est une occasion unique de savoir tout ce qu’elle pense et tout ce qu’elle espère.


I

Il en est des conciles comme des parlemens, le même mot représente des institutions fort différentes selon les temps. Rien n’a plus changé que les grandes assemblées dont on voudrait faire aujourd’hui les gardiennes de la tradition immuable, et elles pourraient fournir un éloquent chapitre supplémentaire à l’Histoire des variations de Bossuet. Nous n’insisterons pas sur le premier des conciles, celui qui s’est tenu dans une pauvre chambre haute de Jérusalem. Il ressemble fort peu à la représentation que l’on en voit dans la salle conciliaire de Saint-Pierre. Le peintre a reçu, paraît-il, des lumières spéciales, car il fait du cénacle un collège de cardinaux présidé par la Vierge. Ces détails inédits manquent au récit de saint Luc. Au reste, les historiens ecclésiastiques ont souvent traité la chronique