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EXPLORATION
DU MÉKONG

VII.
PAYSAGES ET CROQUIS CHINOIS AU YUNAN[1].

On a vu en 1812 des soldats épuisés de fatigue et à bout d’énergie s’arrêter pendant les marches forcées de la douloureuse retraite de Russie et tomber pour ne plus se relever. Le repos pour eux, c’était la mort. Un danger d’une autre nature menace les voyageurs dans les pays lointains; les longues haltes leur sont fatales aussi : c’est comme la mort de l’âme. Lorsque, pour subvenir aux nécessités de la vie, il faut se consumer en efforts quotidiens, l’activité physique, surexcitée par une lutte incessante, s’accroît avec les obstacles, et l’esprit, tout entier au service du corps, semble être pour lui-même sans exigences et sans besoins; mais il se venge bientôt de cette subordination passagère, et, quand les besoins matériels sont satisfaits, les privations intellectuelles deviennent plus douloureuses. Nous l’éprouvions chaque fois qu’un séjour prolongé dans une ville de Chine nous mettait en présence d’une civilisation qui paraissait complète, et qui pourtant laissait inassouvis les plus impérieux de nos désirs, les plus ardentes de nos aspirations. Depuis les derniers sacrifices imposés à chacun de nous par la difficulté des transports,

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1870.