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Allemands et l’esprit peu politique des Slaves ont travaillé comme à plaisir, depuis 1867, à créer un état de choses impossible, à perpétuer une anarchie qui n’est « douce » que dans la capitale, mais qui dans les provinces envenime de plus en plus tous les rapports administratifs et sociaux. A mesure qu’avançait, au printemps de l’année 1867, l’œuvre de réconciliation avec la Hongrie, M. de Beust dut songer naturellement à faire reconnaître cet accord par la seconde moitié de l’empire et à doter celle-ci d’institutions parlementaires analogues. Pour aller plus vite en besogne et consolider par cela même à Vienne, auprès du parti allemand, sa situation personnelle encore toute neuve et bien jalousée, M. de Beust ne trouva rien de mieux que de recourir à l’ancienne constitution de M. de Schmerling et de réunir un Reichsrath « restreint, » Sans doute les Slaves eurent raison alors de récriminer contre un expédient qui lésait leurs intérêts, et d’insister sur la convocation d’une constituante véritable ; ils eurent seulement le tort d’accompagner ces plaintes de prétentions exagérées, de programmes fédéralistes impossibles, menaçans pour la Hongrie, et, déboutés dans leurs demandes, ils commirent la faute plus grave encore de renoncer à la lutte parlementaire et de se renfermer dans l’abstention.

C’était faire preuve tout à la fois et de beaucoup de passion et de très peu d’intelligence politique. Au lieu de céder aux emportemens et aux fantaisies des meneurs tchèques, les Slaves auraient mieux fait alors de se rendre aux sollicitations pressantes de M. de Beust, de suivre l’exemple que leur donnaient à ce moment même les Polonais de la Galicie, et d’envoyer malgré tout leurs délégués au Reichsrath « restreint » de Vienne. Unis aux Polonais, aux députés autonomistes du Tyrol et de quelques autres provinces, les Slaves auraient très probablement eu la majorité au sein de ce Reichsrath restreint ; ils y auraient, dans tous les cas, composé une phalange formidable avec laquelle il eût été impossible de ne pas compter sérieusement : la constitution des pays cisleithans eût été alors tout autre que celle que devaient forger, vers la fin de l’année, les Allemands, délivrés de toute entrave et n’écoutant plus que leurs haines et leurs convoitises invétérées. Les Slaves préférèrent répudier solennellement le Reichsrath restreint, tourner le dos à une « constituante dérisoire » et laisser aux Polonais seuls la rude et ingrate tâche de défendre, au nom des pays non germaniques, en face d’une majorité allemande écrasante, les idées d’équité et d’autonomie. Pour comble de folie, les meneurs tchèques imaginèrent vers le même temps (mai 1867) ce fameux pèlerinage à Moscou[1] qui devait être une protestation, une menace à l’adresse des Allemands d’Autriche, et qui n’eut d’autre effet que d’assurer immédiatement à ces Allemands

  1. Voyez le Congrès de Moscou et la Propagande panslaviste. Revue du 1er septembre 1867.