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sur des outres de peau pleines d’air qu’ils faisaient avancer avec leurs jambes. Vers Kalat-en-Nejm, sur une colline dominant la rive gauche du fleuve, apparaît le Château-des-Étoiles, qui joue, paraît-il, un certain rôle dans l’astronomie arabe. Tout auprès est un tunnel qu’on suppose passer sous le fleuve, et auquel on arrive en descendant deux cents marches de pierre ; mais il est obstrué par des roches et impossible à franchir. Un peu plus loin, vers Kara-Bambuje, le bateau échoua sur un banc de cailloux caché sous l’eau bourbeuse du fleuve. Il fallut lui ouvrir à travers ce banc un passage que le courant comblait au fur et à mesure. Plus de cent Arabes furent employés à ce travail, qui dura quinze jours. Enfin après bien des alternatives d’espérance et de découragement, des périodes de beau temps et de tempêtes, des crues d’eau pendant lesquelles le bateau, momentanément soulevé, retombait lourdement en cassant ses chaînes, on parvint à le remettre à flot ; mais par contre on perdit le radeau, qui suivait avec les provisions et 50 tonnes de charbon. Le 19 avril, l’expédition arrive à Balis, ville voisine d’Alep, située sur cette partie du fleuve qui se rapproche de la Méditerranée, et qui, pour ce motif, est destinée à devenir le principal entrepôt de la route de l’Inde. Les Arabes, dont jusqu’alors les relations avaient été très cordiales, ayant manifesté des dispositions hostiles, il fallut, pour les convaincre de leur impuissance, leur montrer les effets de l’artillerie et des fusées à la congrève, puis inviter les chefs à venir à bord et leur faire visiter les bâtimens en détail. Après cette inspection, ils proposèrent d’eux-mêmes un traité de paix qui fut conclu entre le roi Guillaume IV et l’importante tribu des Aniza, traité dont la clause principale avait pour objet le maintien des communications et le développement des relations commerciales.

L’expédition continua sa route en laissant derrière elle des rives boisées et couvertes de jasmins, des ruines nombreuses, des villes et des villages, des rochers à pic et parfois même de vastes forêts remplies de rossignols. Ses relations avec les habitans, malgré la défiance naturelle de ceux-ci, furent partout empreintes de cordialité. Ce fut à Zelebi, où se trouvent les ruines du palais d’été de Zénobie, que le colonel Chesney reçut son courrier d’Alep, du 1er avril, dans lequel on lui annonçait que l’élévation des dépenses avait décidé le gouvernement à mettre fin à l’expédition le 1er juillet suivant. C’était pour le colonel un coup terrible que de voir interrompre son œuvre précisément au moment où, les plus sérieuses difficultés étant surmontées, il ne restait plus qu’à en cueillir les fruits ; mais il n’était pas homme à se laisser abattre : il garda pour lui cette communication fâcheuse, bien décidé à forcer le gouvernement à poursuivre l’expérience jusqu’au bout.