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messie aux yeux de ses compatriotes, s’il n’avait eu la réputation d’être plus fort que les démons toutes les fois qu’on lui amenait des possédés.

C’est une question qui a beaucoup préoccupé les théologiens modernes, qui ne croient guère au diable, que de savoir si Jésus lui-même a partagé les croyances de ses contemporains en fait de satanisme. Pour la traiter comme il le faudrait, nous aurions besoin de nous arrêter longtemps sur d’autres questions étrangères à cette histoire. Disons seulement que rien ne nous autorise à penser que Jésus se serait prêté, par condescendance pour les superstitions populaires, à feindre des croyances qu’il ne partageait pas, mais ajoutons que les principes de sa religion n’étaient pas en eux-mêmes favorables à ce genre de croyances. Nulle part Jésus ne fait de la foi au diable une des conditions de l’entrée dans le royaume de Dieu, et le diable ne serait qu’une idée, qu’un symbole, ces conditions resteraient littéralement les mêmes. La pureté du cœur, la soif de la justice, l’amour de Dieu et des hommes, ce sont là toutes exigences complètement indépendantes de la question de savoir si Satan existe ou non. C’est ce qui fait que là où Jésus parle d’une manière abstraite, générale, sans préoccupation aucune de circonstances de lieu et de temps, il élimine régulièrement la personne de Satan de son champ d’enseignement. Par exemple, il déclare que nos mauvaises pensées viennent de notre cœur ; selon la théorie satanique, il aurait dû les faire remonter au diable. Parfois il est visible qu’il se sert des croyances populaires comme d’une forme, d’une image, à laquelle il n’attribue pas lui-même de réalité positive ; il en fait une matière à paraboles ; il appelle satan l’un de ses disciples qui l’engage à se soustraire aux douleurs qui l’attendent, et qui par son affection même devient pour lui un tentateur momentané. On peut faire une observation du même genre en étudiant la théologie de saint Paul, du moins dans ses épîtres authentiques. Saint Paul évidemment croit au diable, et pourtant chez lui le mal moral est rattaché à la nature terrestre de l’homme, et non pas à l’action extérieure et personnelle du démon. En un mot, l’enseignement de Jésus et de Paul ne combat nulle part la croyance au diable, mais il peut s’en passer, et il tend à s’en passer. On le voit de nos jours, où tant d’excellens chrétiens n’ont plus le moindre souci du roi des enfers ; mais ce fut là un de ces germes, comme l’Évangile en contient beaucoup, qui avaient besoin pour éclore d’une autre atmosphère intellectuelle. Tout ce qui précède nous explique pourquoi il est bien plus question du diable dans le Nouveau-Testament que dans l’ancien. La croyance au diable et l’attente du messie avaient grandi parallèlement. Remarquons toutefois que si le Nouveau-Testament parle très souvent de Satan, de ses anges, des