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propagande, les pièces de conviction et les aveux ont apparu au grand jour. Il est à espérer que l’Autriche les fera connaître, quand tout sera rentré dans l’ordre en Dalmatie. Quoi qu’il en soit, les populations, à mesure qu’elles se soumettent, voient qu’on les a trompées par de fausses lueurs, comme on a trompé la Crète et les Grecs dans ces dernières années, et comme on essaiera de tromper tous les vassaux et les voisins du sultan. L’effet des promesses dont on les a bercées sera nécessairement de les rattacher à l’Autriche, qui, devenue constitutionnelle et libérale, peut seule leur préparer de meilleures destinées.

Comme second exemple, je citerai la Bulgarie et plus particulièrement l’église bulgare, qui depuis plusieurs années met le gouvernement du sultan dans l’embarras. En France, on a peu fait attention à cette affaire, qui cependant présente une des faces les plus graves de la question d’Orient. Les Grecs s’en préoccupent autant et plus peut-être que la Turquie, car elle les intéresse au premier chef. La propagande du Nord a persuadé, paraît-il, à ces populations ignorantes et clair-semées, conduites par des hommes gagnés et quelquefois vendus, que leur église est soumise à une odieuse tyrannie de la part des patriarches grecs, tour à tour achetés par les sultans et nommés par eux. Ces braves paysans, ou ceux qui portent la parole en leur nom, réclament la séparation et veulent une église qui soit à eux et d’où l’hellénisme soit exclu. Si le sultan leur accorde ce qu’ils demandent, il en résultera deux conséquences : d’abord le sultan perdra une partie notable de son autorité sur ses sujets bulgares ; en second lieu, comme tout le monde sait en Orient qu’une église bulgare est hors d’état de subsister par elle-même faute d’argent et faute de prêtres, la Russie fournira l’un et l’autre et substituera son action à celle de Constantinople : échec pour le sultan et pour l’hellénisme, c’est-à-dire pour les deux principaux rivaux de la puissance du Nord.

La propagande septentrionale pousse ses rameaux vers la mer Egée comme vers l’Adriatique. On vient de la prendre en flagrant délit en Dalmatie ; on peut la voir à l’œuvre dans la Thrace et dans la Macédoine ; de ce dernier côté, c’est par les Bulgares qu’elle gagne du terrain. Soit par des prêtres, soit par des écoles, soit par des dons plus matériels et par des secours habilement distribués, elle pousse ces populations agricoles vers le sud ; en ce moment, elle assiège en quelque sorte Salonique ; avant quinze ans, elle sera non-seulement installée, mais puissante dans cette ville, d’où elle surveillera les routes de la Méditerranée. C’est un fait historique parfaitement observé que la politique du Nord suit à l’égard de Constantinople la même marche qu’ont suivie autrefois les