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misère. Que faut-il cependant pour éviter le scorbut, le typhus et la fièvre ? Une alimentation tonique et variée, un air pur, un campement sec, un bon drainage, quelques précautions pour éviter le froid du soir ou l’humidité du sol, et enfin une grande propreté. Obtenir cela n’est pas au-dessus des forces humaines ; encore y faut-il le double concours du soldat et de l’administration. Le soldat obéit volontiers quand on l’éclaire sur son propre intérêt ; mais vous n’aurez jamais une administration active et vigilante tant que vous ne la composerez pas de ceux-là seulement qui font de la santé humaine l’étude de toute leur vie.

Une dernière réflexion. S’il est un lieu-commun qui traîne dans toutes les histoires, c’est que le premier choc des Français est irrésistible, mais que bientôt cette première pointe s’émousse et que, faute de persévérance, nous perdons toujours nos conquêtes. Cette observation, que les événemens ont trop souvent justifiée, pourrait bien avoir un tout autre sens que celui qu’on lui donne. Elle signifierait simplement qu’à la seconde année de guerre une armée française, épuisée par la mauvaise nourriture, minée par le scorbut et le typhus, n’a plus l’énergie des premiers jours. Ce ne serait pas notre légèreté nationale qu’il faudrait accuser, c’est la mauvaise administration de nos troupes. S’en est-il fallu de beaucoup que notre armée ne fondît devant Sébastopol ? Est-ce le courage cependant qui manquait à nos soldats ? Non ; ce qui ruinait ’nos troupes, ce qui pouvait compromettre l’honneur de la France, c’est le détestable système que M. Chenu dénonce à l’opinion publique, système qui, malgré l’expérience de la Crimée et de l’Italie, règne encore aujourd’hui, et nous exposerait aux dangers les plus grands, si la guerre éclatait demain.

Nous avons dit comment, dans la première année de la guerre de Crimée, tandis que nos soldats opposaient une certaine résistance au climat et à la maladie, l’armée anglaise était éprouvée de la façon la plus cruelle. De novembre 1854 au mois d’avril 1855, les Anglais eurent 47,749 malades et blessés, sur lesquels il en mourut 10,889. C’était une perte de 5,79 sur l’effectif, de 22,83 sur le nombre des malades. Notre armée était le triple de l’armée anglaise, nous avions eu 8,000 blessés, et cependant on ne comptait dans nos rangs que 10,934 morts. La perte était de 2,31 sur l’effectif, de 12,60 sur le nombre des malades. Ce dernier chiffre était considérable ; mais il disparaissait devant l’énorme total de la mortalité anglaise. Aussi à cette époque y eut-il dans les journaux français un concert de louanges pour célébrer l’excellence de notre administration militaire. Hélas ! cette admiration ne devait pas durer longtemps. Tandis qu’on nous berçait de ces éloges qui flattent notre vanité, un simple journaliste qui s’était établi dans le camp