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sa faute avec usure. Ces pédans auxquels il avait eu l’impertinence de recourir ne seraient pas là pour l’arracher aux rigueurs de la loi martiale ; si, par prudence, on n’osait pas le faire passer par les armes, il serait aisé tout au moins de le faire saigner et gémir sous les verges. Des châtimens infligés sous prétexte de discipline, on ne devait compte qu’à ses chefs, et l’esprit de corps ne permettrait guère à ceux-ci de désavouer leurs inférieurs. Si des réclamations parvenaient jusqu’à Vienne, là encore les fonctionnaires civils étaient destinés d’avance à avoir le dessous. Les archiducs, les magnats tchèques, croates, hongrois, occupaient tous de hauts grades dans l’armée, et les hommes de loi n’étaient pas de force à lutter, sauf peut-être sous un Joseph II, contre l’influence de la Burg, contre ces princes et ces grands seigneurs qui composaient les états-majors.

L’essai fut donc malheureux[1], le désordre et l’anarchie étaient partout, et en 1800 l’administration fut rendue, ainsi que la justice, aux chefs des compagnies et régimens. Les officiers, qu’avait fort irrités la diminution momentanée de leur compétence et de leur prestige, reprirent le pouvoir avec une singulière violence : ils firent sentir le poids de leur autorité et de leurs rancunes à ceux dont ils avaient eu à se plaindre pendant la durée du régime mixte. Depuis que le danger n’était plus du côté des Turcs, et que la frontière, fixée par le traité de Sistowa et par la convention accessoire du 4 août 1791, était ordinairement tranquille et respectée, l’usage s’était établi de faire servir les régimens des confins loin du territoire qu’ils avaient autrefois assez à faire de garder : ils prirent part à toutes les guerres de la république et de l’empire. Or en 1801 plusieurs régimens de Gränzer étaient campés sur les bords du Rhin; ils reçurent du pays de si affligeantes nouvelles qu’ils se mutinèrent et voulurent reprendre en armes le chemin de la frontière. Il fallut appeler contre eux d’autres troupes, en fusiller quelques-uns, et faire au reste des promesses qui finirent par les calmer. Afin de tenir la parole donnée, l’archiduc Charles, le célèbre adversaire de Moreau et de Napoléon, entreprit, aussitôt après la paix de Lunéville, une sérieuse enquête sur l’état des confins. Devenu ministre de la guerre, il avait accepté la tâche de réorganiser l’armée autrichienne en vue des luttes nouvelles qu’il était dès lors facile

  1. En 1782 et 1783, un des officiers les plus capables de l’armée autrichienne, le colonel de Geneyne, parcourut toute la frontière pour étudier l’effet des systèmes essayés jusqu’alors; le rapport qu’il adressa à l’empereur à la suite de cette longue inspection peut se résumer dans l’aveu qu’il fait qu’aucun système n’est appliqué avec quelque suite, qu’il n’y a d’autre règle dans les confins que la volonté des chefs militaires.