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pays sud-américains deviendrait dangereuse, intolérable. A l’intérieur, par l’énormité d’une dépense inutile, l’Espagne aurait porté le dernier coup à ses finances; à l’extérieur, elle se serait fermé tous les marchés du Nouveau-Monde, où elle n’aurait plus que des ennemis.

Arrêtons-nous de préférence à l’autre hypothèse, celle d’une cession volontaire de Cuba et de Porto-Rico moyennant une compensation pécuniaire. Il ne s’agirait pas d’une vente, dont l’idée est répugnante autant pour le peuple qui vend que pour celui qui se rachète : ce serait la liquidation d’une ancienne solidarité, une juste participation dans les dépenses civilisatrices des siècles antérieurs. Une somme dont il ne convient pas encore d’indiquer le chiffre serait donc livrée par les Cubains au moyen d’une combinaison d’annuités. Quel devrait être l’emploi de cette somme? L’industrie espagnole est particulièrement menacée par la séparation des colonies : c’est elle qu’il faudrait secourir. Que l’indemnité tout entière soit consacrée à la transition du régime protecteur au commerce libre; qu’on vienne en aide aux manufacturiers en leur accordant, non pas des subventions, mais des primes d’exportation décroissantes pendant cinq ans, temps nécessaire pour la transformation de leur outillage; que l’on consacre de fortes sommes à la création des voies utiles au commerce, à l’éducation populaire, qui augmentent les forces productives. Si les hommes d’état qui vont présider aux destinées de l’Espagne avaient la sagesse et la fermeté de résister aux dépenses stériles, s’ils employaient l’indemnité cubaine comme il vient d’être dit, ils calmeraient les esprits inquiets et irrités. L’essor de l’industrie relèverait le crédit public. On verrait une activité saine remplacer la poursuite des sinécures et des privilèges; la réconciliation définitive dans les pays hispano-américains, y compris Cuba, ouvrirait largement à l’Espagne les marchés du Nouveau-Monde. En agissant ainsi, une crise qui menace d’être mortelle fournirait au contraire des élémens de régénération.

L’obstacle à cette combinaison, c’est la répugnance qu’ont les Cubains à faire les fonds d’une indemnité pour l’Espagne. Pourquoi paieraient-ils rançon à la mère-patrie? C’est elle, disent-ils, qui est leur débitrice pour les avoir trop longtemps exploités. Et d’ailleurs ils se croient sûrs du triomphe définitif, sinon par eux-mêmes, au moins par l’intervention des États-Unis. A notre avis, les Cubains ne sont pas aussi dégagés qu’ils le supposent de toute solidarité avec le passé. M. Chase, qui était ministre des finances à Washington pendant la guerre de la sécession et qui est aujourd’hui président de la cour suprême, écrivait en 1863 ces admirables paroles dans une lettre que nous pouvons citer sans indiscrétion : — « Nous