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femmes d’élite du XIXe siècle est bien plus saine, bien plus pure, à notre avis, que celle où vivaient les femmes du XVIIIe La société présente n’a pas à regretter Mme Roland; elle veut des héroïnes moins théâtrales, celles qui reconstruisent sans bruit les foyers ébranlés et maintiennent la religion de la famille. A cet égard, ni l’Allemagne ni la France ne sont aussi malades que le prétendent les faiseurs de romans. Laissons pourtant le censeur public exagérer la force de ses leçons par l’amertume de son langage; c’est la liberté nécessaire de la tâche qu’il s’est donnée.

Aux leçons morales se joignent les portraits politiques sous la plume de M. Levin Schücking. Je rencontre dans le Château de Dornegge comme dans les Chemins qui se croisent certaines idées qui vont faire bien autrement de tapage dans les récits de la nouvelle génération; quelles idées? la satire de la vieille aristocratie, la guerre aux derniers représentans de la société féodale. Seulement cette guerre, chez M. Schücking, est conduite avec enjouement, avec sérénité, sans le moindre sentiment de haine. Voyez d’abord ce type qui représente si bien l’aristocratie presque tombée en enfance et toujours obstinée dans ses prétentions. C’est le comte Achatz. Il faut l’entendre parler du bon vieux temps. « Le bon vieux temps reviendra, n’en doutez point. Il n’y a qu’à laisser faire la nature humaine. La nature humaine est le fondement de l’ancien régime. Imaginez trois hommes absolument seuls ici-bas, qu’arrivera-t-il? L’un flattera l’autre et l’appellera votre grâce, puis tous deux forceront le troisième à travailler pour eux. Vous riez? Il n’est rien de plus sérieux. C’est la nature humaine. Le premier jouit, le second prouve au premier qu’il a le droit de jouir, et le troisième est contraint de labourer pour les deux autres à la sueur de son front. Un seigneur, un moine, un serf, voilà le monde. Voyez plutôt la Bible dès la première page; il n’y a que trois hommes sur la terre, Adam, Abel, Caïn. Adam est le patriarche, le prince, le gracieux seigneur. Abel est le personnage pieux, fuit Abel pastor ovium. Vous voyez, le gardien des ouailles, le pasteur des âmes, un bon petit moine prêchant le droit divin, c’est la Bible qui le dit. Quant à Caïn, le texte l’appelle Caïn agricola; c’est le laboureur, le batteur en grange, l’homme de la glèbe et de la corvée. Voilà bien ce que je vous disais : un seigneur, un moine, un serf. Et comme l’histoire est instructive! Ce sournois de Caïn est travaillé par l’envie, il déclame contre l’organisation sociale, il s’insurge, il prend sa pique, le jacobin! mais, quos ego... Voyez comme il est châtié par le bon Dieu! Il n’a fait que rendre sa position dix fois pire : tout ce qui descend de lui, Jabel, Jubal, Tubalcaïn, c’est le pauvre peuple : bourgeois, forgerons, tailleurs, cordonniers; au con-