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vant dans un cercle où il y avait plusieurs dames, et parlant avec sa vivacité ordinaire, il défait ses jarretières, tire son bas sur son soulier, se gratte la jambe pendant quelque temps de ses deux mains, remet ensuite son bas et sa jarretière, et continue sa conversation sans avoir le moindre soupçon de ce qu’il venait de faire. » Ce sont là distractions assez innocentes; mais un chimiste peut en avoir de plus dangereuses. Une autre fois Rouelle, faisant un cours devant une nombreuse assemblée, disait à ses auditeurs : « Vous voyez bien, messieurs, ce chaudron sur ce brasier? Eh bien ! si je cessais de remuer un seul instant, il s’ensuivrait une explosion qui nous ferait tous sauter en l’air. » En disant ces paroles, il ne manqua pas d’oublier de remuer, et une formidable explosion vint aussitôt lui donner raison. Tel est le portrait un peu humoristique que Grimm nous trace du vieux chimiste.

Mais voici venir Lavoisier, et la théorie de l’oxydation apparaît comme une lueur éclatante au milieu des ténèbres de la science. Les débuts de la chimie moderne sont trop connus, et nous en avons d’ailleurs rappelé trop récemment les traits principaux[1], pour qu’il y ait lieu d’insister ici sur le rôle de Lavoisier. Non-seulement il renouvela la chimie, mais ses études sur la respiration et la chaleur animale ouvrirent à la physiologie des voies nouvelles. L’académie n’accueillit d’abord qu’avec beaucoup de défiance les idées de Lavoisier ; les chimistes de profession, les Macquer, les Sage, les Baume, continuaient à défendre la doctrine du phlogistique; ils s’appuyaient sur l’opinion des savans étrangers les plus considérables, des Sheele, des Cavendish, des Priestley, car, chose singulière, Priestley, qui en découvrant l’oxygène fournit à Lavoisier la base de la chimie nouvelle, mourut sans jamais renoncer à la théorie de Stahl. Peu à peu cependant les résistances s’effacèrent, et, quand Lavoisier tomba frappé par la hache révolutionnaire, la chimie moderne était fondée.

Les sciences que nous appelons naturelles, et que la langue du XVIIIe siècle désignait sous le nom général de physique, alimentaient les sections d’anatomie et de botanique. La section d’anatomie se recrutait principalement de médecins, de chirurgiens, dont les travaux n’ont guère pour nous plus de valeur que ceux des anciens chimistes. Ce sont encore les médecins de Molière. Ils remplissent de leurs querelles les procès-verbaux de l’académie ; mais leur science y tient peu de place. Nous trouvons cependant parmi les anatomistes un physicien de premier ordre, Réaumur. C’était un esprit universel; une grande position de fortune lui avait permis de se livrer de bonne heure à l’étude de toutes les sciences, où son

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1869, l’Évolution des doctrines chimiques depuis Lavoisier.