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Ce qui sortira en définitive de cette assemblée, nul ne peut le savoir. Ce qui est clair, c’est que depuis quelque temps des incidens étrangement significatifs se produisent, la résistance s’accentue un peu partout et sous toutes les formes, il y a visiblement deux camps tranchés dont l’antagonisme éclate à travers tout. Le vrai point de la lutte, et le plus grave parce qu’il touche à la politique, c’est cette question de l’infaillibilité du pape qui semble avoir été la raison d’être du nouveau concile, qui, si elle est résolue dans le sens absolutiste, transforme le pontificat et en fait dogmatiquement une autocratie sans limite et sans contre-poids. C’est sur ce terrain que se concentre particulièrement en Allemagne aujourd’hui le mouvement de résistance qui a commencé par les adresses des catholiques de Coblentz et de Bonn, qui a continué par de savantes études dues à des prêtres éminens, et qui vient de se résumer dans le manifeste des évêques réunis à Fulda. Ce manifeste des évêques d’outre-Rhin n’est point certainement un programme de révolution religieuse ; rien n’y offusque l’orthodoxie ; il est conçu dans l’esprit le plus modéré par des prélats fidèles à leur église et attachés au saint-siège. Au fond, il est cependant bien facile de voir que ces évêques allemands subissent l’influence de l’agitation qui s’est produite autour d’eux. S’ils parlent des appréhensions qui se sont manifestées, ce n’est pas pour les blâmer. S’ils mettent leur confiance dans le concile, c’est en assurant que d’une telle assemblée il ne peut sortir rien de contraire aux droits des états et de la société civile, à la liberté politique et intellectuelle, à la civilisation, aux prérogatives de la science, et plus leur langage est mesuré, plus il a de portée. On a ri de tout cela dans le camp ultramontain, ce sont là encore des catholiques indépendans et sincères. Ce que les évêques allemands disent avec modération, c’est après tout ce que disait récemment avec plus de netteté une brochure, — le Pape et le Concile, — publiée à Leipzig sous le pseudonyme de Janus, qui cache, dit-on, un des principaux théologiens de l’Allemagne. Brochure et manifeste, c’est un non opposé d’avance à certaines choses, et il est douteux qu’une fois à Rome les évêques allemands oublient leur langage de Fulda.

C’est la même pensée que M. l’abbé Maret, évêque de Sura, doyen de la Faculté de théologie de Paris, vient de développer en France dans son livre : du Concile général et de la Paix religieuse. Le titre même de l’œuvre indique un dessein plus général : l’auteur poursuit la paix religieuse, il veut probablement l’impossible, il n’y arrivera pas, nous le craignons fort. Dans tous les cas, l’évêque de Sura est un adversaire réfléchi, très calme, très ferme, de l’infaillibilité absolue du pape, qu’il considère comme. incompatible avec les vraies traditions chrétiennes aussi bien qu’avec les intérêts de la religion dans le monde moderne, et ce n’est pas lui qu’on accusera de parler légèrement de choses qu’il ne connaît