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la ville des docks. L’orgueil et la gloire des habitans sont de montrer aux étrangers ces prodiges de l’industrie humaine. Le premier dock fut construit en 1709. Sept ans plus tard, il fallut en ouvrir un autre qui reçut le nom de Salthouse dock, à cause d’une grande fabrique de sel s’élevant alors près des terrains qu’on venait de creuser. L’impulsion était donnée, et les travaux succédèrent aux travaux. Du haut du bateau à vapeur, je vis défiler l’un après l’autre sur la rive droite du fleuve ces gigantesques entrepôts du commerce maritime. Ce sont pour la plupart de vastes espaces enfermés dans de hautes murailles avec trois entrées et trois sorties, l’une pour les piétons, l’autre pour les voitures et la dernière pour les vaisseaux. Le chemin par lequel entrent et sortent les navires s’ouvre sur un bassin qui communique directement avec le fleuve. L’eau est retenue par de larges écluses, et sur l’étroit défilé qui conduit au bassin s’étendent des ponts qui se séparent par le milieu et s’écartent de chaque côté lorsque les bâtimens réclament le passage. L’intérieur des docks est occupé par de longs hangars dont le toit s’appuie sur de massifs piliers de fer et par de hauts édifices, — les magasins, lourdement assis sur des arches de pierre surbaissées. Le style de cette architecture est cyclopéen : la force sans la grâce, la grandeur dénuée d’ornemens. L’entrée des docks se montre pourtant gardée du côté du fleuve par des tours de granit qui ne manquent certes point de caractère. Entre les murs de chaque dock et le fleuve s’étend d’ordinaire un quai ou une parade dont la ligne se prolonge de distance en distance. Sur la rive opposée, en face de cette série de quais appartenant à Liverpool, s’élève Birkenhead, hier un village, aujourd’hui une autre grande ville maritime. Est-ce une sœur ? est-ce une rivale ? La glauque surface de l’estuaire répand sur cet ensemble de faits très positifs une sorte de lumière idéale. Notre léger steamer glissait entre deux lignes de merveilles. Mes regards couraient d’une rive à l’autre sur les édifices chargés de richesses, les bassins ombragés de mâts.

Nous débarquâmes sur une jetée de pierre faisant partie de ce qu’on appelle le groupe des docks septentrionaux (northern docks), et qui tous ont été créés depuis 1844. Ayant appris qu’une ligne de grands paquebots de poste (mail steamers) allait être établie entre New-York et Liverpool, le conseil des docks offrit d’ouvrir un bassin et une forme sèche avec une entrée capable de recevoir les plus gros bâtimens. C’est en effet pour eux que fut creusé Huskisson dock, une des gloires de l’architecture maritime. L’eau de ses profonds bassins couvre une superficie de près de 6 hectares, et ses quais s’étendent sur une longueur de 1,039 mètres anglais (yards). L’ingénieur chargé des travaux, M. Jesse Hartley, avait déjà construit vingt