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du bout des lèvres ! mais nous l’acceptons bien en vérité des lèvres tout entières. — Assurément le sénat n’a pas songé à se mettre en opposition ouverte avec le gouvernement, il a trop l’habitude des convenances pour cela. Qui oserait cependant assurer que le vote définitif n’a pas été un acte de résignation à ce qu’on regardait comme un mal nécessaire ? Elle a été sanctionnée, cette réforme, elle n’a rencontré au scrutin que dix récalcitrans ; mais elle a été votée avec des craintes, des évocations du passé, des réticences, des explications telles qu’on aurait pu s’y tromper. Il y a eu même un sénateur, excentriquement violent, nous en convenons, plus indiscret ou plus franc peut-être que tous les autres, dans tous les cas assez naïf pour faire ce curieux aveu que, dans sa pensée, rien ne serait changé heureusement après le sénatus-consulte, que l’autorité impériale resterait entière avec toutes ses prérogatives d’omnipotence, c’est-à-dire que ce dévoué à outrance, plus impérialiste que l’empereur, faisait à son souverain l’injure de supposer qu’il avait pu se moquer du pays en lui offrant une trompeuse satisfaction. Un seul a parlé ainsi tout haut, combien pensaient de même tout bas, et combien au fond étaient d’avis qu’il eût mieux valu encore ne pas courir ces hasards !

Rien ne peint mieux les dispositions intimes du sénat que ce qui s’est passé à l’occasion des amendemens de M. Bonjean. Repoussé dans la commission, M. Bonjean ne s’est pas tenu pour battu. Il avait proposé, on le sait, d’assimiler les deux assemblées dans le partage des fonctions législatives, de débarrasser le sénat du fardeau du pouvoir constituant, de le vivifier par l’infusion d’un sang nouveau dû à l’élection. C’était ; sans contredit, dépasser le sénatus-consulte ; ce n’était point, en fin de compte, plus révolutionnaire que tout ce qui se faisait, que le rétablissement de la responsabilité ministérielle, que la restitution de l’initiative au corps législatif. Qu’y avait-il d’étonnant, lorsque cette pauvre constitution de 1852 cédait de toutes parts sous la pression des choses, qu’un homme éclairé et prévoyant vînt proposer d’étendre ou de compléter la réforme ? Et pourtant, même après l’abandon de la dernière partie de l’amendement, de ce qui avait trait à l’élection, le projet de M. Bonjean a failli être écarté par ce qu’on a justement appelé une brutalité parlementaire, par la question préalable. Notez bien que cette proposition de question préalable n’était nullement le caprice du premier venu, elle émanait d’un homme d’un esprit élevé, de M. Delangle, qui s’est peut-être plutôt souvenu de son caractère de procureur-général à la cour de cassation que de son rôle de législateur. Il fallait au plus vite, selon M. le procureur-général, raffermir la constitution ébranlée et la soustraire au scandale de ces discussions publiques qui se prolongent depuis quelques mois, il fallait arrêter la témérité des journaux, revenir aux procès de presse, il fallait que le sénat donnât l’exemple du res-