Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/901

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la part de Dieu des témoignages de colère et non d’amour ? À ceux qu’il aime, le Seigneur se montre face à face. Si Jésus lui est apparu dans une vision, et lui a parlé, comme il le prétend, c’est comme un ennemi à son ennemi. Qui soutiendra qu’on peut être initié par vision à une doctrine ? Ce n’est pas l’affaire d’un rêve ; sinon pourquoi le Seigneur est-il resté pendant un an à enseigner des disciples bien éveillés ? Comment d’ailleurs Jésus l’aurait-il initié, puisque la doctrine qu’il prêche est contraire à celle du maître ? Si, visité et instruit par Jésus pendant une heure, il est devenu apôtre à bon droit, qu’il prêche sa parole, qu’il annonce sa doctrine, qu’il aime ses apôtres, et ne combatte plus contre ceux qui ont eu le privilège de vivre avec le Seigneur et ont reçu de sa bouche ce qu’ils enseignent aujourd’hui. Dire que Pierre est condamnable et répréhensible, c’est s’élever contre Dieu même, qui lui a révélé le Christ, c’est démentir le Seigneur, qui l’a déclaré bienheureux à cause de cette révélation. Veut-il sincèrement être le champion de la vérité, qu’il se mette à l’école des apôtres et se fasse leur disciple pour être ensuite leur auxiliaire. C’est aux apôtres qu’il appartient de contrôler et de vérifier la doctrine, de distinguer le bon grain de l’ivraie. Aucun missionnaire de l’Évangile ne doit être reçu, s’il n’a conféré avec Jacques, le frère du Seigneur, et ne porte une attestation de sa main.

Que ce soit Jacques qui ait fait à Paul cette opposition acharnée, la chose paraît peu douteuse, si l’on veut se souvenir que l’éclat d’Antioche avait été provoqué par ses délégués ou des personnes de son entourage intime, et que nul plus que lui ne dut être blessé de la rebuffade de Paul. Ce dernier, sans le confondre avec les faux frères et les intrus, le nomme avec Pierre et Jean comme ceux avec lesquels il finit par s’entendre, au moins pour le moment, ce qui prouve qu’ils ne s’entendaient pas tout d’abord. Il les désigne encore avec ses deux amis d’une façon plus voilée lorsqu’il parle, non sans ironie, de ceux qui « sont tenus en haute considération dans l’église, » et « passent pour être quelque chose, » quand il ajoute plus loin « que celui qui trouble les âmes en portera la peine, quel qu’il soit. » Ailleurs encore, il se plaint de ceux qui « veulent tirer gloire de grossir le nombre des circoncis, » ou, se relevant en face de ceux qui tentent de l’abaisser, il rappelle ses travaux, son désintéressement, ses épreuves, et proteste hautement « qu’il n’a été en rien inférieur aux archi-apôtres ; » enfin au dernier retour de Paul à Jérusalem, d’après l’auteur des Actes, si discret ou plutôt si muet sur toutes ces querelles, c’est Jacques qui se fait auprès de Paul l’interprète des récriminations des judaïsans, et prononce le mot si malsonnant de docteur d’apostasie. La part de Jacques, de Pierre et de Jean, dans cette longue et méchante guerre