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raies bleues et rouges; elle avait permis à Kirchhoff d’expliquer la constitution du soleil par la comparaison des raies noires du spectre solaire avec les raies lumineuses des métaux terrestres. Grâce à ce brillant début, le nouveau procédé d’analyse chimique est devenu rapidement populaire; il n’est pas de laboratoire, si pauvre qu’il soit, qui n’ait son spectroscope et sa lampe de Bunsen, Les découvertes se sont succédé sans interruption. La liste des corps simples s’accroît sans cesse, et les noms des nouveau-venus conservent la mémoire de leur origine : on voit là figurer le cæsium, le rubidium, le thallium, l’indium, appelés ainsi à cause des raies qui en caractérisent les spectres. La moindre parcelle d’une substance suffit pour en révéler la présence lorsqu’on a recours à la nouvelle méthode; rien n’est délicat, rien n’est sensible comme ce merveilleux réactif que les deux professeurs d’Heidelberg ont mis entre les mains des chimistes.

Ce qui frappe le plus l’imagination dans les découvertes qui sont dues à l’analyse spectrale, c’est la portée qu’elles ont pour l’astronomie physique. Sur ce terrain, la moisson a été riche dans les deux dernières années. Les expéditions qui étaient parties pour l’Inde et la Cochinchine l’été dernier, afin d’y observer une éclipse totale de soleil, ne sont pas revenues sans avoir éclairci le mystère des protubérances roses qui s’aperçoivent toujours sur le bord de l’astre éclipsé pendant la durée de l’obscurité totale. Le 18 août 1868, on a vu le spectre des protubérances se résoudre en un petit nombre de raies brillantes, comme on en voit dans le spectre de l’hydrogène incandescent. M. Janssen, l’envoyé du bureau des longitudes, conçut alors une méthode d’observation qui a donné les plus beaux résultats dès le lendemain de l’éclipsé. En réduisant convenablement la fente du spectroscope et en promenant la lunette sur le bord extrême du disque solaire, il a réussi à voir les lignes brillantes des protubérances en plein jour, en dehors des éclipses. Dès lors, plus de doute : le soleil est enveloppé d’une atmosphère d’hydrogène incandescent. Cette atmosphère est basse, à niveau fort inégal et tourmenté; les protubérances en sont simplement des portions soulevées, projetées, souvent détachées en nuages isolés. Quand l’annonce de cette découverte capitale parvint à l’Académie des Sciences, vers la fin du mois d’octobre dernier, un compétiteur anglais avait déjà enlevé à M. Janssen le succès de surprise qu’il eût obtenu sans cela ; M. Lockyer avait réussi de son côté à voir le spectre des protubérances tous les jours. Il est juste d’ajouter que M. Lockyer cherchait depuis deux ans, qu’il avait même publié en 1866 une note sur le procédé dont il se servait pour examiner les bords du soleil en vue de la découverte des protubérances ; mais les premières observations de ce genre sont dues à M. Janssen, et datent du 19 août 1868.

Grâce à MM. Lockyer, Janssen, Rayet et Secchi, nous connaissons au-