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la grande démonstration de Kant tourne dans un cercle vicieux.

Il faut donc en revenir au témoignage de la conscience comme au seul moyen possible de prouver la liberté. Toute la question se réduit à savoir si vraiment ce témoignage peut être infirmé par la critique de Kant et de son école. Cette critique se résume dans les deux argumens suivans : la conscience n’atteint que les phénomènes, et ne peut rien nous apprendre sur la cause; — le problème du libre arbitre est sujet à la contradiction antinomique comme tous les problèmes métaphysiques. Que valent ces deux argumens?

En ce qui concerne le témoignage de la conscience, nous trouvons que la critique de l’école de Kant a son principe dans une fausse idée de ce témoignage. De quoi le moi a-t-il conscience? Est-ce seulement des actes ou encore de la cause de ceux-ci? Voilà toute la question. Il nous semble qu’elle est tranchée par la définition même du mot conscience. Avoir conscience de ses sensations, de ses pensées, de ses volitions, est-ce simplement savoir qu’on sent, qu’on pense, qu’on veut? Alors il faudrait dire que l’animal a la conscience aussi bien que l’homme, car il est évident qu’il ne sent, ne perçoit, n’agit pas sans savoir qu’il sent, perçoit et agit. Pourtant on s’accorde à reconnaître que la conscience est l’attribut essentiel et caractéristique de l’être humain. C’est que l’homme a conscience, non-seulement de ses actes, mais de l’être qui les produit, du moi, sujet ou cause de ces phénomènes. A vrai dire même, il n’a conscience que du moi et des attributs qui constituent sa personnalité. Il se sait libre, comme il se sait un, identique, comme il se sait en possession de tout ce qui constitue l’innéité et la spontanéité de son être. On comprend que l’être fictif imaginé par Condillac, l’homme statue, n’ait conscience que de sa sensation, et qu’il s’identifie avec elle, au moins tout d’abord, de manière à dire : Je suis telle saveur, telle odeur, tel son, telle couleur. Cela peut encore se concevoir à la rigueur pour l’animal, auquel il est permis de refuser la conscience, tout en lui attribuant, outre la sensibilité et la mémoire, une certaine intelligence et le sentiment confus de son individualité; mais, si l’animal ne se distingue pas de sa sensation et ne s’affirme pas comme moi, il est certain que cette distinction et cette affirmation sont le fait propre de la personnalité humaine. L’homme réel est une cause, une force active, douée de facultés et de puissances diverses qui n’attendent que le contact d’un objet pour entrer en exercice. Dès que cette force subit l’impression de la cause extérieure, elle réagit en vertu de l’énergie qui lui est propre, quelle que soit la violence de l’impression; par le sentiment de cette réaction, elle se distingue de la sensation et de la cause de la sensation, et s’affirme elle-même. De là la conscience, phénomène inexplicable dans l’hypothèse de l’homme sta-