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Elle veille ; un frisson d’amertume et de fièvre
De son sein palpitant monte jusqu’à sa lèvre,
Et sous leurs cils épais ses beaux yeux bleus mouillés
Scintillent. — Au dehors, dans les tilleuls rouillés
De l’allée où sanglote un jet d’eau monotone,
Dans le parc imprégné des senteurs de l’automne,
Le vent pluvieux dit les funèbres chansons
Des printemps disparus et des mornes saisons ;
Mais plus funèbre encore est le chant de détresse
Qu’en son cœur tourmenté l’épouse entend sans cesse :

« L’homme et ses lois, le prêtre et son rite banal
En vain à ce vieillard ont enchaîné la vie.
La nature n’a point béni le joug brutal
Qui pèse lourdement sur ton âme asservie.

« Pauvre femme ! les fleurs des chemins ont pleuré
Quand l’époux t’emportait, joyeux, dans son carrosse,
Et les étoiles d’or au fond du ciel navré
Ont pâli de douleur pendant ta nuit de noce.

« Les joyaux ruisselans et les bals aux doux bruits
Ont un instant leurré ta jeunesse distraite ;
Mais tu sais maintenant de quelles tristes nuits
Et de quels jours amers ta destinée est faite.

« Les rapides printemps et les hivers sans fin
S’amasseront, pareils à la neige qui tombe ;
Tu resteras liée à ce vieillard chagrin,
Tes fers ne s’useront qu’aux pierres d’une tombe.

« Les ans fuiront dans l’ombre, ainsi qu’à l’horizon
Se perd un vol confus de cygnes en voyage,
Et toujours tu seras murée en ta prison,
Sans enfans, sans amour, sans but et sans courage ! »

Toujours !… Les sons cruels de ce terrible mot
S’échappent de sa lèvre avec un long sanglot,
Et son cri désolé monte vers les cieux calmes…
Les saules du jardin bercent comme des palmes,
Lentement, mollement, leurs rameaux encor verts,
Et les fleurs des soleils expirans ; les asters,
Les chrysanthèmes d’or, les passe-roses frêles,
Se penchent comme pour se répéter entre elles
Le mot désespéré qui passe dans la nuit,
Et puis tout se rendort, et seul, le faible bruit