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née d’une exception vivante et mortelle. Donc un gouvernement, si démocratique qu’il soit par son principe, se glorifie à faux lorsqu’il prend à témoin la plèbe des artistes. Les trois quarts des sculpteurs et les neuf dixièmes des peintres ne sont artistes que de nom ; leur vraie place serait dans l’industrie et le commerce. Quand les expositions officielles sont désertées par presque tous les membres de l’Institut, quand MM. Duc, Labrouste, Lefuel, Vaudoyer, Jouffroy, Dumont, Bonnassieux, Barye, Signol, Schnetz, Robert-Fleury, Meissonier, Alexandre et Auguste Hesse, Léon Cogniet, Amaury-Duval, Jules Dupré, Alex. Desgoffe, Diaz, Gigoux, Yvon, Eugène Lami, Ziem, Ricard, Matout, Jadin, Hamon, Jacque, Lenep-veu, Maréchal de Metz, Riésener, Thomas Couture, Iselin, Frémiet, Paul Dubois, etc., etc., ne se signalent que par leur absence au Salon de 1869, il serait puéril de nous dire : « 4,230 ouvrages ont figuré à l’exposition, quoique chaque artiste ne pût en présenter que deux ! »

Je ne suis pas de ceux qui reprochent au gouvernement la sécheresse des étés, l’humidité des hivers, la cherté du pain et l’impuissance des artistes ; mais je n’aime pas qu’on prétende tirer honneur et profit du bien qu’on n’a pas fait. L’état, dans ses rapports avec les artistes, a le choix entre deux rôles que voici. Il est le maître de ne rien faire et de laisser tout faire. Point d’écoles officielles et gratuites ; les élèves s’adresseront aux hommes d’un talent reconnu, et paieront leurs leçons ce qu’elles valent. Les artistes s’entendront pour organiser à frais communs l’exposition annuelle ou permanente de leurs ouvrages ; chacun se défera de ses produits comme il pourra, soit aux enchères, soit à l’amiable ; l’administration des musées, si la chambre lui fournit les voies et moyens, achètera de temps à autre une statue ou un tableau remarquable pour enrichir les collections publiques. Un tel ordre de choses serait le mieux approprié aux mœurs d’un peuple libre ; nous y viendrons peut-être un jour.

L’autre hypothèse est celle d’un gouvernement qui touche à tout, se charge de tout, et absorbe toute l’initiative de 38 millions d’hommes. La constitution dit, article 1er : Les citoyens sont mineurs sous la tutelle du prince. Soit ! La fabrication des chefs-d’œuvre devient un service public, un monopole de l’état comme la fabrication des cigares. Nous avons un rang à tenir, une suprématie à défendre contre les rivalités de l’Europe ; maître Jacques, c’est-à-dire l’état, cuisinier et cocher tout ensemble, se charge de nous fortifier contre la concurrence. L’enseignement des arts sera gratuit ; mais, comme il ne faut pas gaspiller les fonds du public au profit de vocations douteuses, une série d’épreuves sévères écartera sans