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irritabilité nerveuse, dans ses longs abattemens, dans l’irrégularité de son régime ; mais ils n’ignoraient pas que cette prétendue folie n’avait aucun caractère violent, ni dangereux. Charles au moins aurait dû, ce semble, éprouver quelque pitié pour cette malheureuse mère, dont le plus grand tort fut certainement une tendresse vraiment angélique pour ses proches. Cette tendresse, elle l’avait prouvée à son indigne mari malgré tous ses torts envers elle, à son père en se soumettant sans murmurer à ses ordres cruels ; elle allait la prouver encore à son fils en lui sauvant le trône, qui fut sur le point de lui échapper. C’est dans ce danger aussi qu’il faut chercher l’explication de la conduite de Charles. Aussitôt après sa visite à Tordesillas, il avait pu apprendre quel était le véritable état des esprits en Castille. Ses créatures elles-mêmes, Ximénès, Velasco, Tortosa, Dénia, le mirent sur ses gardes. Il se convainquit du peu de popularité de sa personne et de son entourage ; il vit les haines que suscitait la sainte inquisition. Si le parti national pouvait s’emparer de la personne de la reine, c’en était fait du pouvoir des Flamands et du règne de la vraie foi. Le sentiment monarchique était trop enraciné pour qu’on eût à craindre un soulèvement républicain ; mais plus ce sentiment était fort, plus il fallait craindre un mouvement en faveur de la reine légitime. Charles jugea donc qu’il y allait de l’intérêt de l’église universelle et de l’empire du monde que Jeanne fût étroitement séquestrée.


III

On connaît les événemens de 1520 et la révolte des comuneros, trop motivée par les imprudences de Charles et les exactions de ses Flamands. Nous ne ferons point ici le récit des premiers succès de l’insurrection nationale, ni des dissidences qui ne tardèrent point à éclater entre la bourgeoisie et la noblesse ; nous ne raconterons pas la défaite des rebelles à Villelar, l’exécution du chef, l’héroïque défense de Tolède par doña Maria Pacheco, l’illustre veuve de don Juan de Padilla. Ces faits ne nous regardent ici qu’autant qu’ils touchent à la malheureuse victime de la politique idéaliste de Charles-Quint.

Ce qu’avait prévu Dénia quand il avait averti Charles qu’on exploiterait contre lui la popularité de la reine ne tarda point à se réaliser. Dès le 24 août 1520, l’armée des comuneros, commandée par Juan de Padilla, pénétra dans Tordesillas, et s’assura de la personne de Jeanne, fort aimée dans la bourgeoisie, où l’on ne croyait guère à sa prétendue folie. Son avènement n’eût-il pas fait cesser l’union odieuse du royaume avec les orgueilleux Flamands, qui