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indifférence, inertie, tels sont les traits du prince qui allait recueillir à son tour le pesant héritage de Milosch et reprendre les réformes du prince Michel.

Nous serions désolé d’être injuste pour un homme qui, pendant une période de seize ans, a dirigé honnêtement les affaires de son pays, a opéré d’utiles réformes, a obtenu plus d’un résultat précieux, et sur qui pèse en ce moment même une accusation capitale. Il faut bien cependant marquer les traits de cette physionomie lorsqu’elle apparaît pour la première fois à la clarté de la vie publique. On la retrouvera jusqu’au dernier jour telle que nous la signalons à cette date. La froideur et l’indifférence du prince Alexandre n’étaient point après tout des conditions trop défavorables, si l’on songe à l’état où se trouvait la Serbie après la révolution de 1842. A la dictature violente de Milosch, l’heure était venue de faire succéder un régime légal et civilisateur. Le prince Michel avec ses nobles instincts l’avait bien compris de la sorte, mais il avait été desservi par des brouillons. La froideur du prince Alexandre le préservera des empressés ; il laissera bien des choses s’organiser d’elles-mêmes, il aura des auxiliaires qui imiteront sa réserve, en un mot il gouvernera peu, et jusqu’au jour où la Serbie s’apercevra queues viriles traditions sont compromises par la somnolence du prince, il aura donné au pays le temps de s’acheminer tout doucement vers la liberté constitutionnelle des états européens. Tel est, si je ne me trompe, le résumé fidèle des seize années pendant lesquelles le prince Alexandre Kara-Georgevitch a occupé le trône de Serbie.

La première année de cette période est remplie par des conflits diplomatiques où la personne du prince Alexandre ne joue qu’un rôle très secondaire, mais qui jettent un jour assez vif sur la politique russe en Orient. La Russie, on l’a vu, avait contribué à renverser Milosch ; c’est elle pourtant qui parut le plus irritée de la révolution de 1842 et de la chute du prince Michel. Le tsar Nicolas écrivit de sa main au sultan Abdul-Medjid pour protester contre l’élection d’Alexandre Kara-Georgevitch. Comment expliquer cela ? C’est que la Turquie avait concouru à la ruine du prince Michel afin d’écarter la princesse Lioubitza et de consolider la pacification de la Bulgarie. Or c’étaient là autant d’intérêts moscovites. Si la Russie ne veut pas qu’il y ait dans l’Europe orientale un état assez fort se passer de son appui, elle ne veut pas non plus que les causes d’agitation chrétienne au sein de l’empire ottoman disparaissent ou diminuent. La princesse Lioubitza, qui entretenait l’agitation bulgare, servait sans le vouloir les desseins de la Russie, tandis que d’un autre côté le prince Michel, si doux, si timide, pouvait longtemps encore occuper le trône de Serbie sans inquiéter le