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l’Espagne, qui par dix traités ou asientos en a vendu le monopole à la France, au Portugal, à l’Angleterre, jusqu’au jour où une poignée de chrétiens persévérans, agissant sur l’opinion et par l’opinion sur le monde civilisé, obtinrent une déclaration solennelle du congrès de Vienne par laquelle toutes les nations chrétiennes s’unirent contre ce crime public par un sentiment commun de justice et de commisération. Cinq conventions particulières ont été conclues entre l’Angleterre et l’Espagne en 1814, 1817, 1819, 1822, 1835,1845, pour la répression de la traite, et l’Angleterre a payé 400,000 livres sterling. Des ordres royaux, des lois, de belles promesses, sont partis de Madrid, et un dernier décret porte la date de 1866 ; mais le crime a continué grâce à un autre crime, l’achat de l’impunité. Cela est notoire. Dans l’enquête de 1866, M. San-Martin a pu dire : « Nous avons constamment menti à la face du monde. »

A la fin de 1865, des planteurs de Cuba formèrent entre eux une association contre la traite, s’engageant sur l’honneur à ne pas acheter des nègres introduits dans l’île depuis le 19 novembre 1865. L’association ne fut pas autorisée à Madrid. Dans l’enquête de 1867, M. d’Angulo, l’un des délégués, proposa que la traite fût déclarée piraterie, et cet avis fut fortement, mais vainement appuyé par le maréchal Serrano. L’assimilation est parfaitement fondée, et elle a été introduite dans la législation de l’Angleterre, du Portugal et même du Brésil. Les peines sévères portées contre le forban qui prend et vend des marchandises seraient bien plus méritées par le misérable qui prend et vend des hommes ; mais les habitans des Antilles savent bien, et les négriers aussi, que la police de l’océan est difficile, qu’il y aura toujours des vendeurs d’une marchandise qui ne coûte rien et s’achète très cher, tant que l’achat n’aura pas cessé. La traite ne prend fin qu’avec l’esclavage. Aussi demandent-ils résolument l’abolition de l’esclavage lui-même.

Les habitans de Porto-Rico, nous l’avons dit, ont aussi le courage de solliciter l’émancipation immédiate, avec ou sans indemnité. Il y a bien quelques récalcitrans, à en juger par la circulaire suivante du gouverneur ecclésiastique de la colonie.


« Ayant appris que l’on a répandu dans notre île de nombreux exemplaires de la Lettre pastorale que l’évêque d’Orléans a adressée au clergé de France en faveur de l’émancipation des esclaves, et la circulation de cet écrit étant dangereuse pour l’ordre de la province, son excellence le gouverneur supérieur civil a demandé au gouvernement ecclésiastique de prévenir tous les curés, s’ils connaissent quelques-uns de ces exemplaires dans leur paroisse, de me les remettre pour les faire passer