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simple ; ceux qui le regardent comme tel ne le voient que par un côté et le jugent à faux. Pour apprécier sa valeur et la hardiesse de ses conceptions, il faut ne pas oublier que c’est à la fois un vrai poète et un vrai musicien. N’eût-il fait que les paroles de ses opéras, on ne saurait lui refuser le premier de ces titres, et d’autre part, n’eût-il fait que ses ouvertures et ses préludes, il faudrait lui accorder le second ; mais en lui le poète et le musicien rêvent, conçoivent, travaillent, créent ensemble. On ne peut dire où l’un finit, où l’autre commence. M. Richard Wagner, lorsqu’il écrit un vers dans le feu de l’inspiration, entend déjà chanter dans sa tête la mélodie qu’il y joindra, et lorsqu’il ébauche un fragment symphonique, il voit clairement d’avance le tableau scénique dont il sera l’accompagnement. Organisation exceptionnelle, unique dans son genre, où deux facultés maîtresses, l’invention poétique et le besoin d’expression musicale, loin d’aller en sens opposé, convergent par leur énergie propre et se joignent en un même point : le drame musical.

A vingt-trois ans, M. Richard Wagner devint chef d’orchestre au théâtre de Riga. Il s’agissait de gagner sa vie et de faire son chemin. D’un centre littéraire et musical fort animé, le jeune compositeur se voyait relégué subitement au bord de la mer Baltique, dans une ville étrangère, triste, monotone. C’est là, au milieu des labeurs de sa profession et des tracas d’un petit théâtre, qu’il commença d’après le roman de Bulwer son premier grand opéra : Rienzi, qu’on vient de jouer au Théâtre-Lyrique, à Paris. Un fier tribun qui rêve le rétablissement de l’austère république des anciens temps au milieu de la Rome corrompue de la papauté, un grand caractère rempli tout entier d’une grande pensée, un grand cœur tout pénétré de son amour de la patrie aux prises avec un entourage brutal et vulgaire, n’ayant pour partager sa foi qu’une sœur enthousiaste aussi républicaine que lui, porté un instant au faîte du pouvoir par le flot populaire, puis frappé à l’apogée de son triomphe par les foudres pontificales, trahi par une noblesse égoïste, honni par cette même populace qui l’avait acclamé, et tombant sur le seuil de sa maison incendiée comme le dernier tribun de Rome, ce sujet était fait pour tenter un esprit porté aux situations grandioses. Rienzi est une œuvre de jeunesse, fort inégale, mais pleine de fougue et de passion, d’un tour brillant et hardi. La pensée réformatrice de l’auteur n’y perce pas. Le livret est coupé selon toutes les règles de la tradition. Chœurs d’ensemble, marches retentissantes, grands airs, trios, septuor, ballet, rien n’y manque. En écrivant ce texte, l’auteur ne songeait qu’à faire un bon libretto de grand opéra. Çà et là un vers énergique, un dialogue rapide, une scène saisissante, des réponses qui tombent