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abominandum, comme s’exprime Pie IX dans une lettre du 30 avril 1868. En France et dans les pays où les lois de la révolution sont depuis longtemps en vigueur, on considère le mariage civil comme une conquête définitive et comme le fondement nécessaire des sociétés modernes. On ne se doute pas que cette institution est en opposition avec les dogmes de l’église, et que celle-ci n’a cessé de la condamner comme une usurpation impie de ses droits inaliénables. Dans une lettre au roi Victor-Emmanuel, datée du 19 septembre 1852, Pie IX a clairement exposé la doctrine catholique sur cette matière. Il l’a parfaitement résumée aussi dans la protestation qu’il a adressée au conseil fédéral suisse, lors de l’introduction de la loi française sur le mariage dans le canton du Tessin. « L’élévation du mariage à la dignité de sacrement est un dogme de l’église catholique, dit le pape ; c’est donc à l’église seule qu’il appartient d’en régler la validité par les conditions qui doivent le précéder et l’accompagner. L’église enseigne en outre que le sacrement n’est pas une qualité accidentelle surajoutée au mariage. Il en est l’essence même, de sorte que ceux qui se marient sacramentellement contractent seuls une union valide et légitime, tandis que ceux qui rejettent le sacrement vivent dans le concubinage. Telle est la doctrine de l’église que tous les états catholiques doivent respecter et admettre comme base de leurs lois à cet égard. Une loi civile qui prétend déterminer les conditions nécessaires à la validité du mariage empiète sur le droit imprescriptible de l’église de régler tout ce qui appartient à l’administration des sacremens, et viole le dogme de la foi catholique d’après lequel toutes les causes matrimoniales appartiennent aux seuls juges ecclésiastiques. » Le raisonnement, il faut en convenir, paraît très serré, et les conséquences qui en découlent sont plus graves qu’on ne pourrait d’abord le supposer. S’il n’y a de mariage que par le sacrement, il en résulte que, pour se marier, c’est-à-dire pour recevoir le sacrement, il faut être en état de grâce et avoir reçu du prêtre l’absolution de ses péchés. Donc, sans l’agrément du prêtre, sans qu’on se courbe sous sa main, point d’union conjugale. Donc aussi pas de mariage pour tous les non-catholiques, protestans, philosophes, libres penseurs, quel que soit le nom qu’ils se donnent. Cela paraît exorbitant ; pourtant qui ne sait qu’en France, avant 89, il n’y avait pas d’état civil pour les protestans, pas plus qu’il n’y en a encore pour eux en Espagne ? Comment auraient-ils eu le droit de se marier, puisqu’ils n’avaient même pas celui d’exister ? Ainsi le veulent les saints canons, et tel est le régime qu’il faudra rétablir partout où l’on voudra mettre la législation civile en harmonie avec les principes orthodoxes.

L’application du droit canonique, même dans la mesure