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consigne. « Le cardinal Dugnami, s’écrie douloureusement le préfet de Montenotte, serait prêt à perdre cent fois la trace pour s’attacher à des incidens. Il est loin d’avoir le tact et la perspicacité du cardinal de Bayanne, ainsi que le caractère décidé du cardinal Ruffo. Le soir encore, il est revenu à la charge, et alors je lui ai démontré clairement que ce n’était point du tout la question, qu’il s’agissait d’une adhésion à un acte, qu’avant tout il paraissait convenable qu’on se prononçât à cet égard. Le pape avait maintenant un conseil, et pouvait se former une opinion tout aussi bien que s’il habitait le palais même du Vatican. C’était aux membres de ce conseil à éloigner des incidens qui pouvaient être considérés comme des chicanes, et tendraient à tout gâter. J’ai dû employer ce terme, quoique fort dans cette circonstance. Le cardinal Dugnami avait parlé le matin même de faire une démarche relative à la liberté du pape ; je l’en ai fait détourner par le cardinal de Bayanne, persuadé que je suis qu’il vaudrait beaucoup mieux en pareil cas que le gouvernement fît de lui-même cette concession spontanée. Une demande incidemment accordée en entraînerait beaucoup d’autres avec des gens accoutumés à tourner cent fois autour de l’objet avant de l’attaquer[1]. » Dans cette même dépêche, et comme s’il tenait à bien établir par ses propres paroles la flagrante fausseté des allégations qu’il venait d’émettre au sujet de la prétendue liberté du pape, le préfet de Montenotte ajoute « que, pour son compte, il ne verrait pas d’inconvénient à ce qu’on permît au pape de sortir et de donner des bénédictions, si cela devait trancher le nœud des difficultés actuelles… Nous sommes assez maîtres de la population pour que cette faveur puisse être donnée ou retirée sans péril ; mais il faudrait qu’elle vînt d’un mouvement spontané du gouvernement, crainte des demandes qui se multiplieraient bientôt dans un conseil nombreux. »

M. de Chabrol se donnait pour bien plus satisfait du cardinal Ruffo. Ce dernier n’avait aucune objection aux projets de l’empereur ; il témoignait seulement l’inquiétude que Pie VII n’en soulevât beaucoup à cause de l’extrême délicatesse de sa conscience. « Le serment au sujet de la conservation intégrale des états de l’église était si fort qu’il craignait que le pape ne voulût jamais entrer en composition sur ce point. — Quel est après tout ce serment ? répliquait le préfet de Montenotte ; il ressemble à celui d’un religieux qui se laisserait brûler dans son couvent pour conserver son vœu de clôture. » Quoique M. de Chabrol levât les épaules à cette seule idée, le cardinal Ruffo continuait à penser que Pie VII pourrait peut-être bien considérer la chose sous un autre aspect.

  1. M. de Chabrol à M. Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 1er septembre 1811.