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il n’avait qu’à reprendre leur antique bannière, la bannière de la civilisation chrétienne, et à faire cause commune avec l’héroïque Serbie de Kara-George et de Milosch.

Il ne faut donc pas reprocher à Milosch le rôle auquel il a dû se décider dans les deux premières crises qui ont signalé le commencement de cette nouvelle période. Dans l’une comme dans l’autre, il s’est conduit en homme de sens, en homme qui, chargé d’une grande cause, doit toujours regarder le but et y marcher résolument. Parmi les reproches si violens auxquels le prince des Serbes s’est exposé, plût à Dieu qu’il n’y en eût pas eu de plus légitimes !


II

La politique extérieure de Milosch était presque toujours irréprochable ; c’est sa politique intérieure qui a été bien souvent en défaut. Dans ses rapports avec le sultan ou le tsar, et par la suite, on le verra tout à l’heure, avec l’Autriche ou l’Angleterre, il voyait juste et agissait prudemment ; à l’égard de ses sujets, il s’est obstiné jusqu’au bout dans les erreurs qui devaient amener une catastrophe. Sans entrer ici dans les détails, nous dirons que le malheur de Milosch a été de vouloir gouverner seul. L’article 3 du hatti-chérif de 1830 lui faisait une loi « d’administrer les affaires de Serbie avec l’assemblée des notables serbes. » S’il avait suivi ce programme, il eût fait une des choses qui pouvaient le mieux séparer la Serbie de l’empire ottoman, et, en accusant son originalité, assurer son indépendance. Singulier incident ! c’est le divan de Constantinople qui donne à Milosch des conseils de libéralisme, des conseils dont les Serbes auraient profité au détriment des Turcs, et c’est le prince des Serbes qui s’enfonce bon gré mal gré dans le système ottoman ! Bien plus, il n’y a pas même un divan auprès de Milosch, il n’y a pas même un conseil de hauts fonctionnaires qui puisse éclairer le souverain ; Milosch veut être seul. Que l’assemblée nationale, la skouptchina, si influente autrefois, si glorieusement mêlée aux destinées du pays, ait été amoindrie, décimée, réduite à un nombre de membres insignifiant, qu’elle ait inspiré assez de défiance, même en cet état, pour être convoquée seulement de loin en loin et comme par grâce, assurément c’était là un malheur pour la principauté naissante ; un malheur plus funeste encore, ce fut la conduite habituelle du prince avec les fonctionnaires de l’état. Chez nous, dit un historien allemand, — et je suppose qu’il parle non pas uniquement de l’Allemagne, mais de toute nation civilisée[1], —

  1. Ranke, Die Serbische Révolution. Berlin, 1844, page 342.