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reposaient sur lui du soin de fournir à l’accusation un aliment nouveau. Ce fut en effet M. Johnson dont la maladresse leur offrit comme à plaisir l’occasion qu’ils guettaient pour l’accabler.

Le ministre Stanton servit comme la première fois de prétexte à la guerre. Le président voyait avec colère que l’on osât braver son autorité jusque dans son cabinet et lui imposer malgré lui un ministre qui lui était odieux. Il résolut encore une fois de s’en délivrer à tout prix. Le 21 février, M. Stanton était à son ministère quand l’adjudant-général Lorenzo Thomas se présente avec un ordre écrit du président : c’était la destitution de M. Stanton et la nomination de M. Thomas lui-même au poste de ministre ad interim. M. Stanton refuse de se rendre à cette injonction, rappelle son inférieur à l’obéissance hiérarchique, proteste contre l’illégalité qu’on veut commettre, et demande enfin du temps pour réfléchir. Aussitôt il écrit au congrès pour annoncer l’étrange nouvelle : on lui répond de tenir bon, quoi qu’il arrive, et on lui promet de le soutenir.

Ce coup d’état en miniature remplit tout le monde d’étonnement ; en un instant, la capitale, peu accoutumée à de pareils spectacles, en fut informée d’un bout à l’autre, et retentit de clameurs contre le président. M. Johnson ne pouvait être accusé d’avoir agi à la légère. Il violait en pleine connaissance de cause les dispositions du tenure of office bill, qui ne l’autorisaient qu’à proposer au sénat la destitution de M. Stanton et la nomination du nouveau ministre. C’était de propos délibéré qu’il rouvrait cette question déjà jugée, et qu’il portait à l’autorité législative un défi plein d’insolence. Sans doute il voulait en finir, pousser les radicaux à quelque mesure violente et engager un duel à mort avec le congrès. Peut-être espérait-il regagner sa popularité perdue en provoquant un scandale et en obligeant le congrès à faire un éclat, peut-être même ne craignait-il pas d’attirer sur sa tête une condamnation dont il espérait se relever avec une puissance nouvelle. Si tel était alors son dessein, la partie qu’il jouait était dangereuse. Se faire condamner n’était pas bien difficile ; mais il n’était pas sûr que l’opinion du pays se soulevât ensuite contre ses juges. Il avait espéré qu’il pourrait mettre le congrès à la porte du Capitole, et ce fut lui qui, comme on va le voir, faillit se faire chasser sans cérémonie au milieu de l’indifférence publique.

Dans un premier moment de colère, la chambre des représentans avait été sur le point de prononcer séance tenante la mise en accusation du président. Elle contint son indignation, comprenant que ce vote ab irato nuirait à sa dignité ; mais on prit des me ures énergiques pour étouffer le complot dès sa naissance. Le sénat rédigea une protestation qu’il expédia aussitôt à la Maison-Blanche. Le général Lorenzo Thomas, coupable, suivant la loi, de high