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pour la juridiction spirituelle du souverain pontife, l’empereur aurait souhaité que le public de France et surtout le clergé de Paris ignorassent absolument que le choix du cardinal Maury avait été canoniquement blâmé et annulé par le chef de l’église catholique. Avec quelle instructive évidence ne voit-on pas s’étaler ici les flagrantes et misérables contradictions auxquelles sont parfois réduits les gouvernemens absolus, même les plus forts ! La réception du bref du pape par l’abbé d’Astros avait déterminé l’arrestation en pleine cour des Tuileries du vicaire apostolique de Notre-Dame. Tout le monde savait que trois cardinaux et plusieurs prélats italiens avaient été envoyés au donjon de Vincennes, parce qu’ils étaient accusés d’avoir pris part à cet envoi. Il n’y avait si petit fonctionnaire de l’empire qui n’eût appris que M. Portalis avait été honteusement chassé du conseil d’état pour avoir eu seulement connaissance du bref, ni si humble curé de village qui en fût à ignorer que l’adresse du chapitre capitulaire de Paris et les adresses italiennes insérées au Moniteur n’avaient été si ardemment sollicitées qu’afin de protester contre la teneur dudit bref. Tout cela s’était passé au vu et au su de la France entière, du monde catholique et comme à la face du ciel. N’importe, le bref de Pie VII ayant déplu à l’empereur, personne dans son empire ne devait être censé savoir qu’il eût seulement existé. Afin que nul n’en parlât, il ne s’agissait, lui semblait-il, que de n’en point parler lui-même. Dans le cours de son allocution aux chanoines de Paris, Napoléon, quoiqu’il y eût continuellement pensé, s’était bien gardé d’en souffler mot. Même omission avait eu lieu au sujet des affaires de l’église quand Napoléon avait ouvert en décembre 1809 la session du corps législatif. Avec les représentans de la nation, sa réserve est plus grande encore, car il oublie entièrement, en rendant compte des faits survenus depuis leur dernière réunion, de mentionner l’enlèvement du pape à Rome et sa détention à Savone. Ce sont là des détails qui ne les regardent à aucun degré. En 1810, le corps législatif n’est pas convoqué. On n’a donc à lui parler de rien. Étrange aberration de ce grand génie dévoyé ! comment l’empereur pouvait-il se figurer qu’en s’interdisant à lui-même de relater publiquement des événemens qui lui étaient désagréables, il imposerait par cela seul silence à tout le monde? Et quel moment choisissait alors Napoléon? Juste celui où il venait de confier à une réunion d’ecclésiastiques renommés par leur science le soin de résoudre les mêmes questions qui étaient alors secrètement, mais passionnément débattues dans tous les salons et dans toutes les sacristies de son empire.

Cependant ce silence, ridicule à commander parce qu’il était impossible à obtenir, ne suffisait plus à l’empereur. Il lui fallait, avant tout, donner le change à l’opinion. L’un des moyens em-