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du schloss. — Cours chez le burmeister, et dis-lui d’arriver au plus vite; les choses ici menacent de mal tourner. — Ce message, fidèlement transmis à la maison, fit sortir mon père de ses allures habituelles. Il vola au secours de l’autorité menacée, n’étant pas homme à s’intimider aisément, et sachant assez de français pour tenir tête à nos plus farouches vainqueurs. Son arrivée au schloss fut une vraie délivrance pour le chef supérieur du district, qui, un dictionnaire à la main, cherchait vainement à saisir et à s’expliquer les imprécations du terrible chasseur. — Quel homme! quel affreux sauvage ! Pour Dieu, mon ami, sachez ce qu’il veut, cria-t-il à mon père, qui venait d’entrer.

Ce que le Français voulait fut bientôt expliqué. Il demandait tout uniment quinze bœufs gras, une charge de blé, sept cents aunes de drap vert et cent louis d’or, sans parler d’une bonne quantité de vang pour rafraîchir ses hommes. — Ah çà! mon ami, disait l’amtshauptmann, pour qui nous prend-on? Cet homme a perdu la tête, cet homme est un brig....

— Doucement, s’il vous plaît, s’écria mon père, il a dû entendre quelquefois cette épithète, et pourrait fort bien la reconnaître, ce qui nous coûterait cher. Maintenant, si vous m’en voulez croire, nous lui donnerons du vang à discrétion, et quand ils auront bu, on verra ce qui peut se faire.

Fritz Sahlmann, convoqué tout aussitôt, reçut ordre d’aller demander à mamzelle Westphalen quelques bouteilles de vin, « et pas du meilleur, » ajouta sagement le digne amtshauptmann. Mon père but ensuite à la santé du cavalier français, qui lui fit raison, et ils n’en restèrent là ni l’un ni l’autre. Les rasades se succédaient avec une effrayante rapidité. — Herr amtshauptmann, prenez place et venez à mon aide, s’écria bientôt mon père, qui se sentait étourdir.

— Mon ami, repartit l’autre, je suis d’âge et de charge à ne pas me commettre en buvant avec un drôle comme ce soldat.

— C’est pour le pays. D’ailleurs moi, je n’en puis mais….. Il nous faudrait une tête plus solide que la mienne.

Comme il disait ces mots, entre les battans de la porte entrebâillée se montra le visage du vieux meunier. — J’ai oublié pour mon procès,... commençait-il déjà. On lui coupa la parole.

— Ici, Voss! lui cria mon père. Il s’agit de griser ce Français. Je vous requiers formellement de rendre ce service à la patrie!

Le meunier de Gielow n’hésita pas, et prit bravement en face du chasseur, qui ne parut pas s’en apercevoir, la place de son bourgmestre. Le premier embarras passé, on l’eût dit fort à l’aise dans son nouveau rôle. Les deux magistrats conféraient ensemble. — Voilà qui va bien, disait l’amtshauptmann, celui-là sera bientôt sous la table; mais que faire des six autres?